Des mères incitées à renoncer à leur activité professionnelle
Au modèle patriarcal des années d’après-guerre ont succédé des modèles familiaux plus égalitaires entre les deux partenaires. Cette égalité est pourtant très souvent exagérée dans l’imaginaire populaire. Même si de nombreux pères sont aujourd’hui davantage impliqués dans la vie de leurs enfants que ceux des générations précédentes, ce sont principalement les femmes qui adaptent leur emploi en fonction des besoins familiaux, si bien que la division entre rôle masculin et féminin n’a pas radicalement changé au sein des familles. En Suisse, cette division sexuée des sphères d’activités est parmi les plus fortes d’Europe.
Bien sûr, des sphères séparées n’impliquent pas forcément des inégalités. Pourtant, cette différenciation s’accompagne habituellement d’inégalités de pouvoir et de distributions des ressources en argent, en prestige et en temps entre les deux partenaires. De nombreuses études en sociologie de la famille ont montré que les mères sont souvent plus dépendantes économiquement de leurs maris, ont moins de temps à disposition pour leurs propres loisirs et reçoivent moins de gratification et moins de reconnaissance sociale que leurs partenaires. Sur ce dernier point, l’investissement dans la sphère familiale des mères bénéficie également aux hommes, alors que l’investissement professionnel des hommes ne bénéficie que partiellement aux femmes. Si les inégalités touchent en priorité les femmes, les hommes peuvent toutefois également subir des inégalités dans le champ familial, comme par exemple l’impossibilité de pouvoir s’impliquer davantage dans la vie de leurs enfants.
Ces inégalités deviennent d’autant plus aiguës en situation de séparation ou divorce. Les mères de familles monoparentales ont un plus fort risque de se retrouver en situation de pauvreté que leur équivalent masculin. Celles qui avaient mis en suspens leur carrière au moment du mariage ou de la venue de l’enfant ont souvent des difficultés à retrouver un emploi équivalent à celui qu’elles avaient précédemment.
Sur le plan familial, les pères qui avaient peu investi la relation éducative et affective avec leurs enfants peuvent se sentir démunis, ou parfois même inutiles, vis-à-vis de leur enfant et ont un plus grand risque de se désinvestir de la vie de leurs enfants que des pères très actifs avant séparation.
L’initiative UDC qui vise une déduction fiscale pour les parents qui gardent leurs enfants va dans la mauvaise direction, car elle tend précisément à renforcer une séparation des sphères d’activités entre hommes et femmes et renforcerait les inégalités précédemment décrites. De facto, cette initiative inciterait certaines mères – un certain nombre déjà à temps partiel – à renoncer à leur activité professionnelle. L’idée que l’initiative pourrait inciter des vocations de père au foyer est un leurre.
Dans cette campagne, il a souvent été entendu, parmi les partisans comme les opposants à l’initiative, que l’Etat n’a pas à favoriser un modèle familial plutôt qu’un autre. Pourtant, la famille ne vit pas en vase clos. Les changements et les inégalités existant au sein des ménages sont en particulier liés au fonctionnement du monde du travail et des politiques familiales. Le déséquilibre entre congé paternité et congé maternité ou la garde allouée en priorité à la mère en situation de divorce sont deux exemples montrant l’influence importante de l’Etat sur les familles.
L’argument selon lequel l’initiative UDC offrirait une reconnaissance au travail (féminin) de garde des enfants n’est pas pertinent, et ce pour deux raisons. Premièrement, les déductions fiscales ne bénéficieraient pas à l’ensemble des femmes en emploi, qui continuent pourtant à jouer un rôle prioritaire par rapport aux hommes dans l’éducation des enfants. Le projet de loi de l’initiative n’aiderait aucunement les femmes qui doivent faire face à une «double tâche» famille-travail et n’ont parfois pas d’autre choix que de travailler pour des raisons économiques. Deuxièmement, la déduction fiscale ne constituerait pas un salaire versé aux femmes, ce qui ne leur donnerait pas une plus grande reconnaissance et indépendance financière vis-à-vis de leurs maris, en particulier en cas de divorce.
A l’inverse de l’initiative UDC, les actions politiques à mener doivent favoriser la conciliation entre vie professionnelle et vie familiale. Il s’agit de favoriser les femmes à mieux s’intégrer sur le marché de l’emploi, notamment parmi les postes créatifs et à responsabilité, mais aussi – et peut être surtout – les hommes à s’impliquer davantage dans la garde des enfants et la gestion du travail domestique.
Des structures de garde suffisantes et abordables, un congé parental à partager entre époux, mais également de véritables possibilités de travail à temps partiel dans les secteurs d’activité à prédominance masculine sont des solutions possibles.
* Chercheur-enseignant à l’université d’Edimbourg (GB).