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L’OPA de Genolier sur la santé publique, un partenariat?

NEUCHÂTEL • Les bénéfices du partenariat public-privé vantés par le président du Groupe Genolier dans le cadre de la reprise de l’hôpital de la Providence sont à sens unique, et au détriment des salariés, dénonce le député socialiste Matthieu Béguelin.

Raymond Loretan a revêtu ses habits de président du conseil d’administration du groupe Genolier (GSMN) le 24 février dernier pour chanter les louanges, dans les colonnes du Matin1 value="1">Le Matin Dimanche, «L’avenir de la santé, c’est aussi le partenariat public-privé», 24 février 2013., des avantages supposés d’un partenariat privé-public dans le domaine de la santé. Il faut avouer qu’il n’est pas surprenant qu’il défende ainsi le mélange entre public et privé, il est à l’image de sa propre carrière, retracée dans L’Hebdo du 28 février sous le titre évocateur de «Machiavel flamboyant»2 value="2">L’Hebdo, «Raymond Loretan: Un Machiavel flamboyant», 28 février 2013..

Bien évidemment, l’Homme a toujours été capable d’ériger ses contradictions en complémentarités, afin de les transcender, d’en lisser les aspérités. Mais ce qui est possible pour un individu est bien moins évident dans l’exercice des affaires, dans le concret de l’action politique. Il est ainsi très instructif de s’arrêter sur le conflit qui court toujours à Neuchâtel autour de la reprise de l’hôpital de la Providence par GSMN, afin de déterminer les conditions du partenariat vanté par M. Loretan.

Tout d’abord, le conflit qui a provoqué la plus longue grève de l’histoire neuchâteloise – aujourd’hui 6mars, nous sommes au 101e jour de grève – a été déclenché par le refus de GSMN d’appliquer la CCT 21, en vigueur dans la santé publique. Comme partout ailleurs, Genolier veut pouvoir dicter ses propres conditions de travail (salaire au mérite, flexibilisation des horaires, annualisation du temps de travail, etc.). L’administrateur du groupe, Antoine Hubert, adresse d’ailleurs sans ambages ses reproches à la convention collective actuelle: «Elle offre six semaines de vacances dès 50 ans, puis sept dès 60 ans. Le samedi est considéré comme un dimanche ou un jour férié. Elle empêche de travailler plus de 40 heures par semaine.»3 value="3">Le Temps, «Genolier souhaite entendre qu’il est le bienvenu à Neuchâtel», 4 février 2013.

Une fois la dénonciation obtenue, l’hôpital aurait dû perdre les missions de santé publique qui lui sont attribuées, l’application de la CCT étant une condition sine qua non à l’obtention de telles missions et à leur contrepartie d’argent public. Or il n’en fut rien, au contraire, le Conseil d’Etat s’est fait l’ambassadeur du groupe privé au grand dam de la majorité du parlement, qui défend l’application d’un même régime pour tous les acteurs de la santé publique.

Même le licenciement, totalement illégal, des grévistes n’a pas empêché le gouvernement de relayer la dérégulation des conditions de travail voulue par GSMN. Lors des négociations menées sous la houlette du président du Conseil d’Etat – Philippe Gnaegi, par ailleurs ancien membre du conseil de fondation de La Providence – celui-ci s’est avancé très loin pour offrir des garanties au groupe privé. Fait absolument inédit, il a proposé que l’Etat prenne à sa charge les coûts d’éventuels plans sociaux liés à des externalisations. Dans le même élan, il s’est également offert de payer, à la place de Genolier, les coûts de l’application de la CCT 21, en attendant que les parties négocient une nouvelle convention séparée pour GSMN… ce que les syndicats, sans surprise, ont refusé aussi sec.

La raison que met en avant le gouvernement pour justifier un tel assujettissement laisse également songeur: tout ceci se ferait au nom du maintien des emplois. Pourtant, si on additionne aux 22 grévistes licenciés les 22 autres emplois devant être transférés à l’hôpital public, et qu’on y ajoute la quarantaine d’emplois menacés d’externalisation, on arrive au quart des effectifs de l’hôpital. Chiffre très proche de ce qu’annonçait de façon à peine voilée M. Hubert: «Ces conditions-cadres [la CCT 21] imposent d’avoir 30% de personnel de plus qu’ailleurs pour faire tourner un hôpital.»4 value="4">Le Temps, op.cit.

Rien dans tout cela ne ressemble en rien à l’idée que l’on peut se faire d’un partenariat. En effet, d’ordinaire, un partenariat permet aux deux parties d’y gagner quelque chose. Là, force est de constater que les avantages sont à sens unique, d’où la défense qu’en fait M. Loretan. Le bilan est sans appel: convention collective dénoncée, dérégulation des conditions de travail et baisse massive de l’emploi, tout en empochant une subvention publique. Et cela au mépris d’un autre partenariat, ô combien plus fondamental, le partenariat social. Celui-ci mettra du temps à pouvoir se rétablir de l’offensive de Genolier sur la santé publique et de la faillite institutionnelle que constitue l’action du gouvernement dans ce dossier.

Notes[+]

* Député socialiste au Grand conseil neuchâtelois.

Opinions Agora Mathieu Béguelin

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