L’abri: partenariat du fait accompli?
AGORA
Tel qu’il est en train de se réaliser, le projet de l’abri est opaque et mal ficelé. Si les volontés qui poussent à créer en ce lieu un projet visant l’excellence pour les jeunes talents ne sont pas rapidement éclaircies, le nouvel espace de la fondation Hans Wilsdorf verra le jour sous un ciel assombri: celui d’un privé qui, au nom d’un partenariat, aura tiré un bout d’espace public à lui comme on s’approprie un bout de couverture. L’octroi de locaux de la protection civile par la Ville de Genève à une fondation privée soulève en effet de nombreuses questions. La première: qui a pris cette décision de céder une parcelle à une entité privée, après quelles concertations? Le Conseil municipal, délibératif de la Ville, a-t-il été saisi? Non. Qui paiera pour l’installation des canalisations, des raccordements et divers frais d’aménagements? A qui reviendront les produits des ventes et bénéfices de l’abri? Faut-il entendre que les nuisances seront pour le voisinage et le profit pour la fondation? La Ville de Genève incarnera-t-elle dans ce projet ce qu’elle a toujours refusé d’être par ailleurs: un concierge guère plus, taulier pour l’abri, cédant un lieu sans se soucier de ce qu’il contiendra? Toutes ces questions appellent à rendre rapidement publics les termes du partenariat portant sur l’abri.
Ce que nous savons, pour l’instant, c’est que le cadeau d’un espace public par Monsieur Maudet à une fondation privée n’a fait l’objet d’aucune concertation, d’aucun appel à projet, d’aucune proposition publique vis-à-vis d’autres acteurs du marché privé. Le manque de concertation envers le voisinage immédiat est particulièrement choquant. Les associations d’habitants AHCVV (Association des habitants du centre et de la vieille ville), la crèche de la Madeleine, la ludothèque; les cuisines scolaires; l’association de parents et même celle des commerçants n’ont pas été concertées; aucun milieux culturel n’a eu voix au chapitre.
Monsieur Ricou a raison de parler de rejet idéologique de ma part s’il entend par là que mon idéologie est le refus de cautionner, au nom d’un label «partenariat privé-public» le passage en force et non concerté d’un projet qui ne répond pas aux besoins des habitant-e-s, court-circuite le Conseil municipal, change de visée en cours de route et demeure opaque dans ses modes de financement et de partenariat. Dérouler le tapis rouge pour les privés, on peut l’envisager, pour autant que les habitant-e-s ne se trouvent pas pris dedans. C’est donc bien une posture idéologique, entendue comme souci citoyen, un besoin de justice sociale et de respect des pouvoirs publics qui impliquent de mettre en lumière les contours de ce projet.
Il est indéniable que la fondation Wilsdorf est un acteur précieux pour la culture dans ce canton. Elle contribue au budget de fonctionnement du Grand Théâtre, finance aussi la FPLCE (Fondation pour la promotion des lieux pour la culture émergente), ainsi que de nombreux autres projets. Il est dès lors étonnant, forte de ces expériences culturelles, qu’elle se soit jetée la tête la première dans l’abri, sans concertation ni réflexion. A-t-elle voulu se faire rapidement plaisir, s’offrir un joyau pour sa couronne en vieille Ville?
Pour conclure, il est encore temps de revoir le projet de l’abri en consultant cette fois le voisinage, la direction du Département de la culture et du sport et les acteurs culturels. Il n’est pas trop tard pour définir à qui et pourquoi l’abri doit servir. Que ce soit pour l’image de marque de la fondation Wilsdorf ou pour la cohérence de la politique culturelle de la Ville, il est important de rediscuter de la nature de ce projet avec tous les partenaires qui vont le composer, avant de se jeter tête en avant dans le noir de l’abri en instaurant le précédent du partenariat du fait accompli.
* Conseiller municipal socialiste de la Ville de Genève, membre de la Commission des arts et de la culture.