Dangereux consensus
Tous les partis politiques représentés au parlement genevois appellent aujourd’hui à voter «oui» à la loi sur la caisse de pension (LCPEG). C’est un problème pour la démocratie. Il n’y a actuellement plus d’opposition cohérente sur les questions sociales au sein du parlement cantonal. Tous sont d’accord avec les recettes néolibérales et la péjoration des conditions sociales, ou s’y soumettent. Même le Parti socialiste, qui a voté «non» à la LCPEG au Grand Conseil, et bataillé courageusement pour défendre ses amendements, tous balayés, a fait volte-face et prône maintenant l’acceptation de cette loi au nom du «consensus» et de ses responsabilités gouvernementales.
Tous sont d’accord par ailleurs pour se soumettre strictement à une loi fédérale qui nous conduit droit dans le mur et va coûter les yeux de la tête au canton, et à toutes les collectivités publiques.
L’acceptation de ce projet constituerait de toute évidence une victoire pour la droite, nullement pour les assurés CIA (Caisse de prévoyance du personnel enseignant de l’instruction publique et des fonctionnaires de l’administration du canton de Genève) et CEH (Caisse de prévoyance du personnel des établissements publics médicaux du canton de Genève) comme l’affirme le Cartel intersyndical de l’Etat. Celui-ci se trouve dans une situation de total porte-à-faux dans cette affaire puisqu’il prône l’acceptation d’une loi contre laquelle il a appelé à la grève le 13 septembre dernier et entérine de ce fait la violation par les partis de droite des accords qu’il a passés avec le Conseil d’Etat en 2011.
Les organisations du personnel, «tétanisées» par le scénario catastrophe que prédit le Conseil d’Etat, renoncent ainsi à défendre les conditions de retraite de la fonction publique.
Le Cartel fait donc campagne pour faire passer ce projet de loi, ce qui permet au député PLR Pierre Weiss de brandir triomphalement un tract du Cartel lors de l’assemblée de son parti. Qui est berné dans cette affaire, au moment même où la droite s’attaque de manière très agressive au budget de la fonction publique et aux conditions de travail du personnel?
Cette loi n’offre en réalité aucune garantie pour les assurés. Non seulement la droite compte revenir à la charge dans un bref délai, en s’appuyant sur la loi fédérale, mais la situation peut évoluer très vite en raison des problèmes que pose aujourd’hui la crise capitaliste qui mine le système de prévoyance par capitalisation. Renforcer encore l’accumulation des capitaux alimente la spéculation et nous expose toujours plus aux crises financières et à la baisse du rendement des capitaux. Le conseiller d’Etat Hiler le sait bien, qui a été contraint de changer trois fois tous les paramètres à la baisse durant ces cinq dernières années. Nous sommes à la merci d’une nouvelle baisse du taux technique décrété par la Chambre des actuaires.
Les nouvelles lois fédérales votées par la droite en 2010 sont dangereuses, spécialement celle qui oblige toutes les caisses publiques à recapitaliser à hauteur de 80% + 15% de réserves pour fluctuations conjoncturelles d’ici à quarante ans. Dans cette période de crise, c’est une véritable «bombe à retardement» pour toutes les caisses publiques fonctionnant en capitalisation partielle.
Rappelons que le Conseil d’Etat n’est jamais intervenu avant le vote des Chambres fédérales pour soutenir la version nettement moins coûteuse préconisée par les experts fédéraux, à savoir une recapitalisation à hauteur de 60% sur quarante ans, qu’ils considéraient comme suffisante dans le cas des caisses publiques.
Le Conseil d’Etat prétend de plus que la répartition de la charge de recapitalisation entre l’Etat et les assurés est «équitable», alors que les assurés en assumeraient au minimum 60% sous forme de baisse massive des prestations, d’augmentation de leur cotisation, d’élévation de l’âge de la retraite et d’allongement à quarante ans de la durée de cotisation.
Le Conseil d’Etat n’assumerait lui que 40% de cette charge, en commençant par un versement unique de 800 millions, tandis qu’il vient de concéder un cadeau fiscal en faveur des plus riches qui l’a privé de 500 millions de recettes par an, en plus des 500 millions de recettes annuelles perdues pour les mêmes raisons depuis l’année 2000. Enfin, ce Conseil d’Etat se profile comme le fer de lance en Suisse du dumping fiscal entre les cantons en préconisant un alignement des taux d’imposition des entreprises sur le taux complaisant accordé aux sociétés de négoce international et aux multinationales installées à Genève. Il priverait ainsi le canton de 550 millions de recettes annuelles supplémentaires.
Le voilà, le véritable scénario catastrophe qui ne peut déboucher que sur des coupes claires dans les secteurs essentiels que sont l’éducation, le social, la santé, en plus de pressions renforcées pour faire porter aux assurés la charge de recapitalisation de la future caisse.
* Ancien président national du Syndicat des Services Publics (SSP).