Chroniques

Le witz des Appenzellois

D’OUTRE-SARINE

Ils seraient tout petits et leurs footballeurs hilares. Vous savez, l’herbe qui leur chatouille les aisselles, comme on adorait le raconter, tout petits nous aussi? Ah oui, et comment rentrent-ils chez eux quand ils sont ivres? Ils prennent leur vélo et s’appuient contre la ligne blanche1. Les Appenzellois, c’est comme sujet de blagues que nous les connaissons, victimes d’autant plus appréciées que le changement d’échelle est un délicieux ressort comique. Pas du tout, rectifie la liste des traditions vivantes en Suisse dressée par la Confédération: les blagues, ce sont eux qui les font, et ils sont connus pour ça depuis le XVIIIe siècle, grâce à Johann Gottfried Ebel, auteur d’une Description des peuples montagnards de la Suisse, 1798-1802.
Leurs blagues évitent l’offense, ne s’occupent que du dessus de la ceinture, et débusquent la vanité comme la bigoterie. Mieux: les idéologies totalitaires. Le versant politique de la satire appenzelloise est représenté par Carl Böckli, qui fut aussi l’une des grandes plumes (rédacteur et caricaturiste) du célèbre hebdomadaire Nebelspalter. Lancé à Zurich en 1875, le journal connaît son heure de gloire dans les années 1930, lorsque ses caricatures déjouent la censure suisse pour mettre en garde contre le fascisme et le national-socialisme. Journal satirique phare durant des décennies, propulsant la carrière de maints plumitifs et caricaturistes politiques, il est tiré jusqu’à 70000 exemplaires dans les années 1970. Sa férocité lui a coûté des abonnements, et il frise le dépôt de bilan en 1998. Sauvé in extremis, il est relooké, et imprime aujourd’hui 21000 exemplaires par mois, sans compter les visites sur www.nebelspalter.ch.
Conscient de ses atouts spirituels, le canton d’Appenzell accueille ses visiteurs virtuels par une page de witz. Pour les autres, il a conçu un «Sentier des blagues» entre Heiden et Walzenhausen. Aujourd’hui, c’est notamment le cabarettiste Simon Enzler qui reprend le flambeau du witz appenzellois. Né en 1976, il bétonne ses apparitions de chemises à carreaux – pas les «tendance», les autres – et de dialecte carabiné. Il a lancé en 2000 les journées du cabaret appenzellois. Bon signe: lui aussi a rejoint le Nebelspalter.
* Journaliste au Courrier.

1 Pis celle-là: Pourquoi les trottoirs ont-ils été supprimés en Appenzell? – Il y avait trop de suicides.

Opinions Chroniques Dominique Hartmann

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