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Chômage à Genève: lettre ouverte à Isabel Rochat

Un récent communiqué de l’Office cantonal de l’emploi indique que les chiffres du chômage sont en diminution à Genève. Une fois encore, le Département de la solidarité et de l’emploi (DSE) se garde bien de fournir une explication à cette baisse des demandeurs d’emploi, et pour cause: les chiffres du chômage, depuis l’adoption par le peuple l’année dernière de la modification de la LACI, et de l’abandon du RMCAS, ont vu une part croissante de personnes sans emploi quitter les statistiques du chômage pour rejoindre celles de l’aide sociale.

Et là, par contre, c’est silence radio. Personne ne dit que, depuis trois ans, le nombre de personnes à l’aide sociale – du fait des modifications législatives précitées – a augmenté de 32%, dont un tiers par les effets induits par l’introduction de la nouvelle Loi fédérale sur l’assurance-chômage (LACI) entrée en vigueur le 1er avril 2011. Selon toute vraisemblance, les demandes continueront d’affluer.

Parler dès lors de baisse du chômage à Genève, dans l’objectif à peine voilé de glorifier les mesures plus que discutables mises en œuvre ces dernières années par le DSE, relève tout simplement de la malhonnêteté intellectuelle.

Si la baisse du chômage à Genève n’est qu’une illusion statistique, la précarité, elle, en revanche, est bien présente. Dans les communes, les services sociaux ne désemplissent pas et essayent, tant que faire se peut, de pallier efficacement les restrictions toujours plus importantes qu’ont connu ces dernières années dans notre canton les législations sur le chômage et sur l’aide sociale. A Vernier, par exemple, le nombre de dossiers suivis pour un accompagnement social a augmenté de près de 30% en trois ans. Près de quarante personnes bénéficient chaque semaine d’une aide pour la rédaction d’un CV ou une lettre de motivation. Rien n’oblige les grandes villes comme Vernier, Lancy, Onex, Meyrin ou Carouge à mettre en place des mesures d’aide sociale ou d’insertion. Les communes ramassent à la petite cuillère celles et ceux qui sont broyé-e-s par un système de protection sociale toujours plus restrictif. C’est le choix de la majorité de droite du Grand Conseil et du Conseil national qui voit là une dépense inutile et onéreuse.

Le problème de cette baisse statistique du chômage a une autre conséquence dramatique : la diminution de l’aide financière annoncée aux associations d’insertion professionnelle. En effet, au niveau fédéral, du fait de cette prétendue embellie, le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) a annoncé une diminution de près de 5 millions de francs des subventions accordées à ces institutions. Cette mesure proprement inadmissible fait des émules, puisqu’à Genève, le DSE s’apprête à l’appliquer, non sans imaginer en profiter pour couper encore plus! Une fois de plus, ce sont les plus précarisé-e-s d’entre nous qui vont en faire les frais! Le fossé qui sépare les chômeurs les plus qualifiés et celles et ceux pour lesquels un soutien plus individualisé est nécessaire ne va donc cesser de s’agrandir. Les associations vont gravement en souffrir. Alors que les situations individuelles se complexifient, elles doivent faire toujours plus avec moins.
Aujourd’hui, j’en ai assez de cette logique. J’en ai assez que ce soit toujours les mêmes qui paient le durcissement des dispositifs d’accompagnement professionnel et social. J’en ai assez que l’Etat continue de transférer aux communes qui n’en ont plus les moyens les tâches qu’il devrait lui-même accomplir. J’en ai assez de cette société à deux vitesses où la volonté d’insertion ne suffit plus et où on pénalise les plus fragiles, systématiquement. J’en ai assez de voir le DSE s’attaquer aux chômeurs, et non au chômage.

Isabel Rochat doit réagir!

Par mon propos, je m’adresse ouvertement ici à la conseillère d’Etat Isabel Rochat: cautionner des mesures qui renforcent là encore une fracture sociale particulièrement pénible à Genève, c’est attaquer la cohésion sociale et le vivre-ensemble qui sont aujourd’hui en jeu dans notre canton.
Je demande d’une part à la conseillère d’Etat de refuser toute baisse de l’aide financière aux associations qui combattent le chômage, qui accompagnent les personnes éloignées du marché du travail par des prestations de qualité et qui rattrapent tant bien que mal les dégâts de la politique en la matière de ces dernières années. Il en va de sa responsabilité quant aux dégâts que de telles baisses et la vision politique y est associée ne manqueront pas de causer tant sur nos habitant-e-s que sur notre système démocratique.

Je lui demande aussi de donner les moyens aux villes concernées, il en va aussi là d’une saine solidarité entre les collectivités du canton. C’est sa responsabilité. C’est son devoir.

 

Conseiller administratif, Ville de Vernier

Opinions Agora Thierry Apothéloz

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