Le masculinisme est-il accessible à la raison?
Le féminisme, et surtout l’avancée des droits des femmes, a évidemment suscité un certain nombre de résistances dans la société, éveillant les peurs et l’insécurité des hommes confrontés à la nécessité de redéfinir leur rôle dans la famille, au travail et dans leur entourage social. Cette réaction, aussi normale que prévisible, aurait dû s’accompagner d’une discussion saine et ouverte aux fins d’améliorer la situation tant des hommes que des femmes – à plus forte raison au moment où tous doivent faire face aux politiques d’austérité et à la précarisation généralisée des conditions de vie.
Malheureusement, en lieu et place de ce dialogue salutaire, une sorte d’apitoiement sur la condition masculine s’est fait jour, et sur les discriminations dont les pères seraient menacés, apitoiement dont se sont saisis des groupes d’hommes plus ou moins provocateurs qui en ont fait leur fonds de commerce. Ce sont les nouveaux mouvements masculinistes. Or ce retour de balancier, en prenant la forme d’une lutte pour les droits des hommes et uniquement de ceux-ci, mène à une impasse, alors que le mouvement féministe, à travers son combat, a amélioré les conditions de tous, hommes et femmes.
Bien sûr, les avancées des droits des femmes ont exigé des investissements dans le secteur public: formation plus fréquente des femmes dans des cursus supérieurs, mise en place de structures d’accueil extrafamiliales pour permettre leur activité professionnelle, création de maisons d’accueil pour lutter contre les violences conjugales, reconnaissance des femmes en tant que mères grâce à l’égalité civile, etc. Mais ces dépenses ont eu comme corollaire une augmentation des richesses produites dans la société ainsi qu’une augmentation des recettes fiscales. Les femmes coûtent davantage qu’hier, mais elles rapportent aussi beaucoup plus à la société.
Ces dépenses publiques pour l’égalité ne font pas que des heureux. Faisant fi des avantages qu’elles procurent à l’ensemble de la population, certains groupements de pères et d’hommes en quête d’une virilité prétendument séquestrée par les féministes combattent en fait, sous leur discours larmoyant, l’engagement des deniers publics pour l’égalité. Ils veulent la suppression des programmes de recherche de genre, la fermeture des maisons pour femmes victimes de violence domestique, le maintien du monopole masculin sur les postes à responsabilités dans les entreprises ou les régies publiques et s’indignent du nombre grandissant de femmes qui occupent ces emplois. Ils s’insurgent contre le payement des pensions alimentaires prétextant que la justice civile est à la botte des féministes. Le débat actuel sur l’autorité parentale partagée en est un bon exemple: ils exigent que cette dernière devienne la norme, mais refusent de lui adjoindre une convention alimentaire pour le parent gardien. Tous les droits, mais aucun devoir…
Certains discours de ces groupes peuvent faire sourire, tant ils sont extrémistes et en dehors de toute réalité, dans le mépris total de ce que vivent les femmes. Néanmoins, la vigilance est de mise. Ces hommes ont une politique de lobbying très efficace auprès des politiciens, ils réseautent habilement internet, créent des antennes associatives locales et noyautent en outre activement les instances judiciaires et parajudiciaires: preuve en est la pression subie par Simonetta Sommaruga au sujet de l’autorité parentale partagée sans convention sur les pensions alimentaires. Par ailleurs, ils jouissent de soutiens puissants dans les partis de droite et d’extrême droite comme dans les milieux fondamentalistes religieux, et contestent par exemple aux femmes le droit de décider d’avorter, voulant que le consentement du partenaire soit obligatoire pour procéder à une interruption de grossesse, ainsi que pour utiliser des moyens contraceptifs. Ne nous y trompons pas: c’est le retour à la mainmise sur le corps des femmes. Nous nous devons de combattre ces groupuscules avec la plus grande fermeté. Il y va de l’équité de notre société à venir.
* Association pour une taxation des transactions financières pour l’aide aux citoyens, section suisse. www.suisse.attac.org