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A la gloire d’un compagnon de Pinochet

AGORA CHILI • Visitant le musée naval national de Valparaiso, Christophe Schouwey s’étonne des honneurs accordés à la mémoire de l’amiral José Toribio Merino, coauteur du coup d’Etat du 11septembre 1973 qui porta la junte militaire au pouvoir au Chili.

Valparaíso, deuxième ville du Chili. Au sommet d’une de ses quarante-cinq collines trône le Musée naval et maritime. A l’entrée, une inscription nous fait savoir que nous ne sommes pas là pour rêver aux vastes espaces de l’océan, comme nous nous l’imaginions peut-être naïvement: «Tu entres dans l’enceinte qui garde les reliques de ceux qui, par leurs faits héroïques dans la guerre, et par leur conduite sage et honorable dans la paix, ont rendu grand et respecté le nom de notre marine». Une partie importante du musée glorifie les héros de la Guerre du Pacifique (1879-1883) qui permit au Chili d’étendre son territoire vers le nord sur près de 600km, s’appropriant ainsi de lucratifs gisements de nitrates. Rien n’est prévu pour ménager les sentiments des pays amputés par l’expansionnisme chilien, la Bolivie et le Pérou.
Malgré cette atmosphère nationaliste et militariste, le visiteur s’étonne néanmoins, au deuxième étage, de se retrouver dans une salle dédiée à la mémoire de l’amiral José Toribio Merino (1915-1996), un des principaux instigateurs du coup d’Etat militaire du 11septembre 1973 et un des quatre membres d’une junte militaire qui assassina des milliers de personnes. Son portrait grandeur nature domine la salle et on peut admirer la décoration reçue pour sa participation au coup d’Etat. Ce fut lui, en effet, qui entraîna dans l’aventure le futur chef de la junte, le tristement célèbre Augusto Pinochet (1915-2006). Dans une missive du 9septembre, Merino prévint «Augusto» de l’imminence du coup: «Sur ma parole d’honneur, le jourJ sera le 11 et l’heureH sera 6h». «Si tu ne mets pas toute la force de Santiago dès le début, nous ne vivrons pas pour voir le futur.»
Le musée présente la proclamation faite le 11septembre par Merino: «Ceci n’est pas un coup d’Etat, car c’est un type de schéma qui ne correspond pas à notre manière d’être et répugne à notre conscience légaliste et notre profonde conviction civique. Nous poursuivons uniquement le rétablissement d’un Etat de droit conforme aux aspirations de tous les Chiliens…». Pas un mot sur l’absence d’élections pendant les dix-sept années suivantes. «Formés à une école de civisme, de respect pour la personne humaine, de vie en commun, de justice et de patriotisme, nous ne poursuivons pas de finalité autre que le bonheur de tous les Chiliens, quelle que soit leur condition, afin qu’ils puissent vivre dans la paix et la tranquillité, sans crainte du lendemain pour eux-mêmes ou leurs enfants.» Pas un mot sur les tortures.
Le sentimentalisme n’est pas pour autant absent de la salle. On peut admirer les armoiries de la famille Merino, les photos de José Toribio Merino enfant, de sa maison natale, ainsi que celles de son mariage, sans oublier la douille tirée par l’escadre nationale lors de son accession au grade de vice-amiral, et une photo en compagnie de Jean-PaulII. Sont également exposés quelques bibelots, cadeaux reçus par Merino de la part du roi Juan Carlos d’Espagne, du vice-amiral Edwards de la British Royal Navy et du commandant en chef des forces d’opération de la marine américaine. L’industrie minière a également offert un petit souvenir à l’amiral, ce qui était la moindre des choses. Rappelons en effet que la junte de Pinochet restitua aux industriels les mines nationalisées par le président socialiste Salvador Allende (1908-1973), celui-là même qui fut renversé par le coup d’Etat.
On peut également voir une statue en bronze de José Merino devant le musée et, en 1997, la marine chilienne a baptisé un de ses nouveaux navires «Almirante Merino». Autant de preuves, s’il en fallait encore, que la junte de Pinochet, vingt-deux ans après le retour à la démocratie, compte encore de nombreux partisans.

* Blog «le regard du Martien»: schouwey.blogspot.com/