Chroniques

Les Pieds-noirs d’Israël

AU PIED DU MUR

Le cinquantenaire de l’indépendance de l’Algérie a été l’occasion d’une série de films, de reportages et de tables rondes sur les différentes chaînes de télévision françaises auxquelles nous avons accès en Israël. Si les images de l’héroïque guerre d’indépendance du peuple algérien provoquent toujours une grande émotion, et parfois des larmes, ce sont les émissions consacrées aux Pieds-noirs qui m’ont le plus interpellé. Comment, en effet, ne pas établir un lien avec ce qui pourrait être un jour le sort des juifs israéliens?
Avec l’indépendance de l’Algérie, rien n’obligeait la communauté française à quitter un pays où, pour certains, elle avait vécu pendant plus d’un siècle. Le mouvement national algérien avait tendu une main fraternelle aux Français d’Algérie et les avait appelés à rester dans un pays qui était aussi devenu le leur. Comme le dit souvent – avec une grande sensibilité – le député palestinien à la Knesset Jamal Zahalka, à propos des Israéliens, «ils sont devenus les enfants de ce pays, même s’ils ont été conçus dans un viol brutal». Ce qui fut certainement le cas des Pieds-noirs d’Algérie.
Pourtant, il y a cinquante ans, l’immense majorité des Français d’Algérie ont fait le choix de quitter leur pays pour rejoindre une patrie imaginaire, dont ils étaient certes des citoyens mais qui, pour nombre d’entre eux, était un pays étranger. Ce choix, apparemment irrationnel, relevait d’une incapacité à accepter le principe d’égalité ou, en d’autres termes, de se «décoloniser». Vivre comme Français en Algérie signifiait, pour la majorité des Pieds-noirs, vivre en tant que colons, dans un rapport de domination – et souvent d’exploitation – vis-à-vis de la population indigène. A l’inverse, vivre dans l’Algérie indépendante signifiait pour les Français perdre leurs privilèges.
Les Israéliens seraient-ils prêts, le cas échéant, à renoncer à leurs privilèges et à vivre sur un pied d’égalité avec les Palestiniens? Accepteraient-ils de remplacer un Etat juif par un Etat démocratique pour tous les citoyens? Rien n’est moins sûr, et quoi qu’il en soit, avant d’être confrontes à ce choix, ils lutteront par tous les moyens pour sauvegarder leurs privilèges et leur domination. Pourtant, le choix auquel seront un jour confrontés les citoyens et citoyennes israéliennes sera entre une solution à la sud-africaine et le sort des Pieds-noirs d’Algérie. A la grande différence que, pour la grande majorité des Israéliens, il n’y a pas de Mère Patrie où se replier. Ce qui signifierait choisir entre l’égalité et un statut de réfugié. A première vue, un choix facile, mais qui nécessite en réalité une véritable révolution mentale et culturelle, et celle-ci n’a pas encore commencé.
 

* Militant anticolonialiste israélien, fondateur du Centre d’information alternative (Jérusalem/Bethléem).

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