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LES HUG À L’AVANT-GARDE DU POPULISME

HOPITAL GENEVOIS • «La direction tente de redorer son blason, quitte à descendre dans le caniveau du populisme». Selon Manuela Cattani, du SIT, la carte de la «préférence cantonale» vise, en divisant les troupes, à mieux imposer les mesures d’austérité et la flexibilité inscrites au plan stratégique 2012-2015.

L’annonce du directeur général des Hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) de procéder à l’avenir au rééquilibrage entre résidentes et frontalières pour les postes d’infirmière responsable d’unité (IRUS), qui a électrisé Genève durant dix jours, est amplement débattue auprès du personnel. A quinze mois du départ à la retraite, le directeur général n’a pas résisté à tenter de redorer son image auprès du personnel avec une annonce qui chevauche un des canaux de radio couloir de l’Hôpital, quitte à descendre dans le caniveau du populisme.
Les années Gruson resteront des années dures pour le personnel qui paye durablement les conséquences du plan d’austérité Victoria, qui a supprimé 400 postes entre 2007 et 2009. Un style de direction qui combine deux facettes: autoritarisme et charisme dans la communication, dont seul le premier déteint sur bien des services de l’Hôpital et tend les relations de travail au quotidien, dans un contexte marqué par le manque d’effectif et les réorganisations. Sans céder aux généralisations – car il y a encore des services où il fait relativement bon travailler, compte tenu des inévitables lourdeurs au vu de la taille de l’établissement et des contraintes horaires dans les services 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24 – le personnel se plaint régulièrement de relations de travail trop tendues, de manque d’effectifs, de surcharge, de manque de considération pour les efforts fournis, de ne plus pouvoir travailler selon les principes éthiques et une vision globale du patient et des soins, de cadres qui manquent d’humanité, voire d’attitudes autoritaires et de manque de reconnaissance. Preuve en sont les grèves du dernier trimestre 2011.

Radio couloir: Canal 1 et Canal 2

De radio couloir, la direction n’a écouté que Canal 1. Le canal qui se défoule aujourd’hui sur les frontaliers, cible facile car devenus les boucs émissaires de tout ce qui ne va pas à Genève. Il y en aurait trop chez les IRUS et chez les cadres en général, ce qui favorise les engagements d’autres frontaliers, étant donné que leur réseau de connaissances et de relations est situé en France voisine. A ce sujet, notez qu’il y a trente ou quarante ans, à des périodes de recrudescence de campagnes xénophobes de l’extrême droite, radio couloir Canal 1 adressait les mêmes reproches de copinage à l’engagement aux Italiens et Espagnols puis aux Portugais, dans les cuisines et les nettoyages, lorsque tel chef d’équipe était italien ou portugais. Les cibles peuvent tourner, une période les immigrés, une autre les réfugiés, puis c’est le tour des frontaliers. Le résultat est le même: accentuer les différences, semer la zizanie auprès du personnel, diviser pour mieux régner.
A trop écouter Canal 1 de radio couloir, la direction veut-elle peut-être faire taire Canal 2? Que dit Canal 2? Que pour obtenir un bon poste dans les HUG, les postes de cadre supérieur, les postes de chargé de mission ou de mise en place de nouvelles politiques dans les domaines les plus variés qui vont des soins et des projets transversaux à l’informatique, du secteur technique au secteur administratif et financier ou aux ressources humaines, il faut d’abord pénétrer puis graviter dans les cercles et réseaux de loyauté de la direction générale et être le fils ou la fille de tel cadre, la femme ou le fils de tel médecin, voir avoir fonctionné comme consultant-e pour des audits qui ont soutenu «scientifiquement» les orientations préétablies par une direction très stratégique qui sait à l’avance où aller.
Le personnel des HUG en général, mais encore plus dans les unités et services de soins soumis aux horaires atypiques et au travail de nuit, du week-end et des jours fériés, est régulièrement confronté à des pics d’activité. En médecine interne, en pédiatrie, en chirurgie, à la Maternité, il y a, de manière ponctuelle mais répétée sur l’année, des pics de sur-occupation des lits et, aux Urgences, des pics de fréquentation. Le taux d’occupation peut monter à 120 ou 140%. Au lieu d’avoir 7 malades par chambre, il y en a 8. Plus de patients, plus de soins, d’entrées et de sorties qui se font plus rapidement, générant une forte intensité de soins, sans personnel supplémentaire! Si, en plus, des maladies non remplacées interviennent auprès du personnel, que se passe-t-il puisque les effectifs sont les mêmes ou sont réduits?
Les responsables exigent plus de flexibilité horaire. Telle aide-soignante se voit informée le matin qu’elle ne fera pas un horaire continu mais qu’elle fera un horaire à coupure. Telle infirmière se verra obligée de déplacer ses congés de récupération, telle autre sera rappelée de congé. Une trop grande flexibilité horaire est exigée pour pallier le manque d’effectif chronique dans certains services. Cela entrave l’organisation des temps professionnels et des temps privés et familiaux. Et crée une grande tension dans les relations de travail et dans les équipes.
Le SIT-Hospitalier dénonce cette flexibilité à outrance induite par le manque d’effectif. Il en a fait une de ses priorités. Pour mieux la dénoncer et préparer les luttes contre la flexibilité et pour des horaires qui permettent de vivre et pas de surnager, un questionnaire est en cours de diffusion auprès de ses membres et du personnel.

«Ma responsable d’unité est trop dure et manque d’humanité»

Lorsque le personnel est mis sous pression pour faire plus avec moins, pour changer les horaires et faire face aux pics d’activité ou aux absences non remplacées, c’est en ces termes que s’expriment son mécontentement et sa critique du management des HUG: «Mon IRU a été trop dure et manque d’humanité». C’est que les cadres intermédiaires sont entre l’enclume et le marteau. Ils doivent faire tourner l’unité ou le service avec les moyens resserrés ou insuffisants à disposition. Coûte que coûte, les soins doivent être dispensés. Et en dépit de toutes les chartes et philosophies humanistes de management, les IRUS se retrouvent à osciller entre souhaits, équité, ménagement, culpabilisation et finalement ordres. Bref, elles manient la carotte et le bâton pour faire tourner l’équipe.
Et dans certaines unités, sont plus souvent en usage la dureté et la culpabilisation débouchant sur une décision indiscutable que l’équité, la souplesse bien comprise et le soutien que le personnel attend de ses supérieurs hiérarchiques.
Les hiérarchies ont été mises en place par la direction. Cette même direction, qui se préoccupe aujourd’hui du passeport et du lieu de résidence des IRUS, est la même qui, hier, interpellée sur la diminution des prestations et le manque d’effectif, nous expliquait qu’en comparaison internationale, la France soignait tout aussi bien les patients que la Suisse mais avec un effectif inférieur et moins d’équipements techniques. Et que le personnel soignant ayant eu de l’expérience dans des hôpitaux moins dotés continuait à trouver l’effectif des HUG confortable!

Diviser le personnel à l’orée d’un Victoria bis pour affaiblir les luttes

Le plan stratégique des HUG 2012 à 2015 commence à être mis en œuvre. L’ampleur des bouleversements attendus par le virage vers une médecine médico-économique, consacré par ce plan, n’est pas encore connue et la direction se garde bien d’expliciter de manière intelligible la batterie concrète de mesures qui découlent de ce plan. Aucune annonce officielle n’a encore été faite, mais il est certain que la direction envisage de nouvelles économies et de nouvelles politiques d’austérité, conformément aux choix du Conseil d’Etat. Pour quel montant? Le chiffre de 50 millions d’économies sur quatre ans est articulé. Ça vous dit quelque chose? Pour sûr, un Victoria bis. Et 50millions, ce sont 500 postes!
Le personnel des HUG a fait preuve d’un regain de combativité avec les grèves de l’automne 2011. Et il devra se mobiliser massivement et se battre contre les nouveaux plans d’austérité qui pourraient être lancés avec le budget 2013. Quoi de mieux pour une direction que de distraire l’attention du personnel sur un bouc émissaire facile? Et par là diviser le personnel pour affaiblir les luttes contre les plans d’austérité que les syndicats préparent tant dans les HUG que dans l’ensemble des services publics?
Pour combattre la flexibilité horaire et le manque d’effectif dans les HUG, aucune concession ne doit être faite à la défense de droits égaux pour tous et toutes les salarié-e-s des HUG. Pour la reconnaissance salariale, pour des postes supplémentaires, pour des horaires décents, pour les mêmes chances à l’engagement et à l’accès aux postes à responsabilité, en fonction des compétences et sans considération d’origine, de nationalité ou de résidence.

* Co-secrétaire générale du Syndicat interprofessionnel de travailleurs-ses (SIT). Texte paru dans le journal du SIT SIT-info de mars 2012. http://www.sit-syndicat.ch/

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