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FRAGILE RÉCONCILIATION

BOSNIE • A Mostar, à une centaine de km au sud de Sarajevo, le lycée symbolise les difficultés de réconciliation entre communautés ethniques. Avant la guerre, les lycéens serbes, croates et bosniaques étaient scolarisés de la même manière. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Eclairage.

DE RETOUR DE BOSNIE
En Bosnie, la ségrégation ethnique dans l’enseignement hypothèque lourdement l’avenir du pays. Pour se rendre à l’école, Selma, une jeune Bosniaque de quinze ans, traverse tous les matins la Nevreta, la rivière qui sépare la partie bosniaque de la partie croate de Mostar. Reconstruit avec l’aide de la communauté internationale, le lycée se trouve exactement sur l’ancienne ligne de front, entre l’Ouest croate et l’Est bosniaque. Avant la guerre, le bâtiment emblématique construit à la fin du XIXesiècle par les Autrichiens dans un style néo-mauresque accueillait indistinctement tous les jeunes de Mostar. Aujourd’hui, il est divisé en une partie croate et une partie bosniaque, et dans ses deux sections, on ne parle plus la même langue. Alors que Selma apprend les mathématiques et l’histoire en bosnien, les jeunes Croates utilisent des manuels scolaires rédigés en croate. Malgré cela, le lycée est devenu un des seuls lieux de rencontre dans une ville qui reste totalement séparée, tant au niveau institutionnel qu’au niveau humain. «A Mostar, il n’y a que trois institutions communes, la distribution d’eau, les pompiers et le lycée», explique le proviseur Bakir Krpo.

Un espoir de réconciliation

L’histoire du lycée de Mostar est celle d’une réconciliation imparfaite après la guerre intercommunautaire des années 1990. Elle illustre tous les problèmes de l’éducation dans la Bosnie d’aujourd’hui: ségrégation, tensions interethniques, mainmise des nationalistes sur les programmes scolaires. A la fin de la guerre, le lycée de Mostar était devenu une institution exclusivement croate et portait le nom de Dominik Mandic. Docteur de l’Université de Fribourg, ce prêtre franciscain d’origine croate a essayé de prouver l’identité croate de la Bosnie médiévale. En 2004, la pression internationale force les autorités des deux communautés de Mostar à s’entendre sur l’intégration des écoles secondaires. Lorsque la section bosniaque est finalement créée après de longues tractations, le lycée Dominik Mandic devient le Gimnazija Mostar, dénomination neutre qui est acceptée par les deux camps.
Dans un contexte politique toujours très tendu, la réunification administrative du lycée de Mostar revêt alors une valeur symbolique immense. Pour la communauté internationale, le nouveau Gimnazija Mostar constitue un premier pas vers l’intégration complète et un modèle de reconstruction sociale. Au même titre que le vieux pont de Mostar, il matérialise l’espoir d’une réconciliation durable entre les communautés d’un pays où, depuis la fin de la guerre, les autorités scolaires locales ont rivalisé d’inventivité pour perfectionner la séparation des ethnies. Dans le but d’éviter le contact entre les enfants et leur inculquer le sens de la différence, un dispositif sophistiqué de la séparation physique fut imaginé et mis en place: écoles avec deux entrées dans les villages ne disposant que d’un bâtiment scolaire, horaires séparés entre le matin et l’après-midi pour les différents groupes ethniques, salles distinctes pour les enseignants.
A Mostar, dans le lycée entouré de ruines criblées d’impacts de balles et de bâtiments éventrés, les élèves réalisent dès le départ des activités communes et représentent ensemble leur école aux compétitions interscolaires. Et, depuis quelques années, malgré la division du lycée en deux sections, Croates et Bosniaques se retrouvent dans une même salle pour suivre les cours d’informatique. «Cela peut paraître peu de chose, mais dans le contexte politique de Mostar, on ne pouvait pas espérer plus», estime Bakir Krpo. «Pour la ville, la réunification des écoles secondaires sous un même toit est un énorme pas en avant.»

Révision des stéréotypes

Avant la guerre, à l’image d’une ville qui était considérée comme un microcosme de la Bosnie multiethnique, environ 40% des élèves du lycée de Mostar étaient bosniaques, 30% croates et 20% serbes. Aujourd’hui, le lycée accueille 650 élèves, issus à part égale des deux communautés de Mostar, alors que les Serbes ont quitté la ville et ne sont jamais revenus. Quand les jeunes Croates et Bosniaques entrent au lycée, à l’âge de quatorze ans, ils n’ont pour la plupart pas encore rencontré des habitants de l’autre partie de la ville. Pour Branka Barač, professeure d’anglais et responsable des activités communes des deux sections, le rôle du lycée comme lieu de rencontre et de dialogue est d’autant plus important. «Pendant les quatre ans qu’ils sont chez nous, les élèves développent une image normale de l’Autre. Ils apprennent à connaître leurs voisins et se rendent compte qu’ils ne sont finalement pas si différents. Beaucoup de liens sont créés et il y a parfois même de belles histoires d’amour entre les deux sections.»
Malgré ces progrès, le Gimnazija Mostar reste dans une position précaire et fragile. Jusqu’à aujourd’hui, l’espoir d’une intégration complète ne s’est pas réalisé, et la pression des partis nationalistes met en danger son avenir. En raison de sa signification symbolique, le lycée devient parfois la cible d’actes de vandalisme qui rappellent de manière brutale que la violence interethnique n’a pas disparu de Mostar. « Dans la situation politique que nous vivons, l’avenir du lycée dépendra beaucoup de la présence internationale», estime Bakir Krpo. «Mais je fais aussi confiance au potentiel de nos élèves. Il est finalement notre plus grande richesse.»
Il y a quelques mois, Selma a commencé sa deuxième année au lycée. Elle s’engage au conseil des élèves où les problèmes de l’école sont discutés. «Nous avons parlé de la division de l’école en deux sections et nous trouvons que c’est vraiment stupide. Ils veulent nous faire croire que nous sommes différents, mais ce n’est pas vrai.» Elle apprécie les activités communes organisées par certains professeurs pour réunir tous les élèves. Et après les cours, elle se promène dans la partie croate de Mostar, où la plupart des centres commerciaux et des lieux de rencontre des jeunes sont concentrés.
Après le baccalauréat, Selma aimerait faire des études d’architecture. Aussi, les chemins de la plupart des lycéens de Mostar vont à nouveau se séparer. Alors que les Bosniaques iront étudier à l’Université bosniaque de Mostar ou à Sarajevo, les Croates se retrouveront dans leur propre université, dans la partie croate de la ville, ou se tourneront vers la Croatie voisine.

«Eliminer les discours de la haine»
Depuis la signature des accords de Dayton en 1995, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) est un des principaux acteurs internationaux impliqués dans la reconstruction sociale et politique de la Bosnie. Dans le but de créer une société pluraliste, multiethnique et démocratique, elle a développé de nombreux programmes dans le domaine de l’éducation. Aleksandra Krstovic est conseillère en programmes en matière de diversité et d’intégration scolaires à la mission de l’OSCE en Bosnie-Herzégovine.

Quels ont été les effets de la guerre intercommunautaire sur le système d’éducation en Bosnie?
Aleksandra Krstovic: Pendant le conflit, trois systèmes d’éducation distincts ont été créés pour préserver l’identité nationale des peuples constitutifs de la Bosnie. La guerre a eu comme résultat la concentration des populations dans différentes régions du pays, ce qui a facilité la mise en place de systèmes scolaires exclusifs pour un groupe ethnique et discriminatoires pour les autres. Tout a été fait pour diviser les enfants et limiter les possibilités de contacts.

Quelles sont les conséquences de cette situation?
La ségrégation scolaire constitue une hypothèque lourde pour l’avenir de la Bosnie. Depuis presque vingt ans, elle est une expérience quotidienne, au point que les gens ne réagissent même plus à cette situation. Ils la considèrent comme normale. La ségrégation scolaire renforce les stéréotypes et marque les enfants pendant toute leur vie. Comment vont-ils faire demain pour résoudre ensemble les problèmes de leur pays s’ils sont trop différents pour aller dans les mêmes salles de classe?

Le lycée de Mostar est-il un bon exemple d’intégration?
La réunification administrative de l’école est un bon point de départ pour surmonter les clivages ethniques. Malheureusement, cette expérience n’a pas été suivie par beaucoup d’autres d’écoles. Dans le contexte politique actuel, il est très improbable que des projets plus ambitieux puissent aboutir.

Qu’en est-il de l’enseignement de l’histoire?
Après la guerre, la plupart des manuels scolaires cultivaient un discours de la haine. En collaboration avec des partenaires locaux et internationaux, l’OSCE a essayé d’éliminer ces passages. Certaines lignes directrices pour la rédaction des manuels d’histoire ont été définies et adoptées par tous les ministères de l’éducation. Dans une société post-conflit comme en Bosnie-Herzégovine, la réforme de l’éducation est un enjeu crucial pour la stabilité et la sécurité à long terme. En conséquence, l’OSCE poursuit ses efforts et a initié le programme «L’Histoire pour l’avenir», dont le but est de définir des objectifs et des standards d’apprentissage communs et, indépendants de l’appartenance ethnique.
Propos recueillis par T.Kadelbach

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Antagonismes intercommunautaires
Les accords de Dayton de 1995 ont divisé la Bosnie en deux entités autonomes, la Fédération de Bosnie-Herzégovine, croate-bosniaque, et la République serbe de Bosnie. Malgré le retour de la paix, les antago-nismes intercommunautaires n’ont jamais cessé et les tentatives de réforme pour doter le pays d’une structure plus fonctionnelle n’ont pas abouti. Après les dernières législatives d’octobre 2010, la Bosnie s’est retrouvée dans une impasse politique sans précédent. Un accord entre les principaux partis bosnia-ques, serbes et croates sur la constitution d’un nouveau gouvernement central n’est intervenu que fin décembre 2011. Cet accord met un terme provisoire à une crise politique qui a été qualifiée comme «le pire moment de-puis 1995» par Valentin Inz-ko, Haut Représentant de la communauté internationale en Bosnie-Herzégovine.
TKh

* Historien à l’Université de Fribourg

Opinions Contrechamp Thomas Kadelbach

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