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LA MYSTIQUE CORANIQUE EN VOIE D’ADAPTATION

Directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes, à Paris, section des Sciences religieuses, Pierre Lory occupe la chaire de Mystique musulmane. C’est depuis Damas qu’il nous répond, alors qu’il est détaché comme directeur scientifique à l’Institut français du Proche-Orient. Il sera à l’Université de Lausanne ce jeudi pour une conférence publique dans le cadre du colloque sur «le croire».
D’abord une question sur le conflit israélo-arabe dont on se demande s’il a une dimension religieuse. «Au départ c’est une affaire purement politique, un combat pour occuper des terres. Les Palestiniens peuvent être musulmans ou chrétiens, laïcs ou religieux, cela est en fait secondaire. L’importance religieuse du discours du Hamas est née de la déception face à toutes les autres options prises jusqu’alors», répond Pierre Lory.

Mais que signifie donc être musulman? L’islamologue précise: «L’Islam sunnite a adopté une position conciliante et consensuelle: est musulman quiconque se proclame ouvertement tel. Le Coran parle de trois niveaux d’adhésion au message prêché par Muhammad: la soumission formelle à un ordre moral, à des dogmes officiels, à laquelle on peut ou non ajouter la foi assumée dans le message et la mise en pratique sincère des rites et, enfin, un approfondissement possible par une vie intérieure tout entière tournée vers la présence divine.» C’est cette interprétation mystique du Coran qui a passionné l’orientaliste. «Les versets sont interprétés à la lumière d’une inspiration intérieure. C’est une démarche personnelle, vécue, pleine de sentiment et d’imagination. Comme si la révélation coranique se prolongeait dans l’âme inspirée du croyant.»

Il n’existe pas d’Eglise en Islam, poursuit Pierre Lory. Aucune instance ne décrète officiellement ce qu’il faut croire ou faire. Selon lui, c’est précisément cette souplesse qui explique, pour une part, la diffusion de l’Islam dans tant de régions du monde. Le credo musulman se résume en quelques données de foi simples (unicité de Dieu, prophétat de Muhammad, résurrection après la mort…). La pratique est simple aussi (prières, jeûne) et assumée par l’individu seul. Mais le voile, par exemple, est bien une pratique obligée?

«Historiquement, l’Islam a pris des formes sociales et juridiques particulières durant le Moyen âge. Un droit, dérivé du Coran et des enseignements du Prophète, s’est élaboré. C’est un droit très «daté», puisque médiéval. Les prescriptions concernant le statut des femmes, des incroyants et des apostats s’en ressentent. Elles ne correspondent pas à ce qu’on attend dans une société contemporaine de démocratie. Mais il faut insister sur le fait qu’une interprétation libérale ou moderne du Coran est parfaitement possible, elle est professée par de nombreux musulmans actuellement. Mais ils ne sont pas majoritaires. Il faut admettre que la communauté musulmane est en voie d’adaptation, difficile parfois, dans le monde moderne.»

PROPOS RECUEILLIS PAR NADINE RICHON

Conférence publique et débat, je. 29 janvier à 18 h 15, UNIL Anthropole, salle 1129, entrée libre.

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