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Le Courrier L'essentiel, autrement

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À TROP VOULOIR GAGNER, ON PERD

Dans quelles situations le conflit permet-il de progresser? L’école d’abord, puis l’université, sont des systèmes éducatifs qui communiquent des objectifs différents, parfois contradictoires. D’un côté, dans le discours des enseignants, il est clair que le but est la formation et que les élèves, puis les étudiants, viennent à l’école pour apprendre. Mais la structure du système communique un objectif supplémentaire, celui de la sélection: comme on doit réussir à avoir de bonnes notes pour passer d’une année à l’autre, et que les notes sont toujours comparatives, il faut avoir aussi comme but de mieux réussir que les autres. Les travaux scientifiques sur les buts ont appelé ces deux objectifs respectivement «but de maîtrise» et «but de performance».
Nous avons mené une expérience pour montrer qu’on observe les bénéfices du conflit s’il est clair que le but est la maîtrise, la formation1. Au contraire, nous soutenons que si l’on est orienté vers la compétition, le conflit a des effets délétères. Nous avons invité à notre laboratoire des étudiants universitaires et, à un tiers d’entre eux, nous avons dit qu’ils étaient là pour acquérir de nouvelles connaissances, pour apprendre; nous avons donc induit un «but de maîtrise». A un autre tiers, nous avons dit qu’ils étaient là pour avoir une bonne note, pour réussir mieux que les autres; nous avons donc induit un «but de performance». A un troisième groupe, nous n’avons rien dit: c’est ce qu’on appelle un groupe de contrôle, qui sert à voir si les résultats après les inductions (les consignes) sont différents de ce qu’il se passe en temps normal. Ensuite, nous leur avons proposé d’apprendre un texte académique en collaboration médiatisée par ordinateur avec un autre étudiant. En réalité, c’est nous qui collaborions avec les participants: à la moitié d’entre eux, nous envoyions des feedbacks d’accord (pas de conflit) et à l’autre moitié des feedbacks de désaccord (conflit). Finalement, nous leur faisions passer un examen sur le contenu du texte, pour mesurer ce qu’ils avaient appris.

Les résultats sont reportés dans le graphique ci-dessous et montrent que lorsqu’il est clair pour les étudiants que le but est d’apprendre, le conflit avec le partenaire a un effet bénéfique et induit un meilleur apprentissage que s’il n’y a pas de conflit. Mais si le but est de mieux réussir que l’autre, le conflit avec autrui devient menaçant et induit des effets délétères, puisque l’apprentissage est alors inférieur à la condition sans conflit. Enfin, la condition de contrôle nous apporte un résultat très intéressant puisqu’elle présente la même forme de résultat que la condition de but de performance: ce résultat nous indique que, par défaut, les étudiants fonctionnent comme s’ils étaient orientés vers la compétition. Là aussi, le conflit perd ses effets bénéfiques. En conclusion, le conflit peut être un formidable instrument d’apprentissage, mais à condition de ne pas «polluer» l’intérêt des élèves pour la connaissance avec des considérations sur la compétition, sur le fait d’être meilleur. FBA

1 Darnon, C., Butera, F., & Harackiewicz, J. (2007). Achievement goals in social interactions: Learning within a mastery vs. performance goal. Motivation and Emotion, 31, 61-70.