Écologie

La sauvegarde de la planète est compatible avec le capitalisme

DÉVELOPPEMENT DURABLE – Nous n’avons qu’une planète mais le système actuel vise une croissance et des profits infinis. Les intérêts de l’économie capitaliste et les impératifs écologiques ne seraient pas si éloignés. Ce qui n’est pas sans conséquence sur le positionnement politique des partis verts.

Les différents courants politiques de la gauche anticapitaliste – certains courants des partis verts en font partie – estiment que les revendications pour la sauvegarde de la planète nécessitent un changement économique et politique radical qui ne serait guère compatible avec l’économie capitaliste dont le moteur, faut-il le rappeler, est le profit. Cette affirmation me convainc de moins en moins, et je vais essayer de documenter mon doute à ce sujet.
Cependant, pour éviter tout malentendu, je tiens à préciser que je reste plus persuadé que jamais de la nécessité d’un changement radical des rapports de force sociopolitiques si nous voulons que la sauvegarde de la planète ne se fasse pas au détriment du Sud et des populations défavorisées du Nord.

De nombreux indices me font penser que l’écologie au sens restreint du terme, quand on la limite à la seule protection de l’environnement et à la sauvegarde de la planète, est compatible avec la logique du capitalisme – système basé sur le profit – étant donné que les revendications environnementales peuvent s’insérer dans la dynamique capitaliste et susciter même un intérêt majeur auprès de certains représentants du pouvoir financier et économique.

Comme preuve de cette affirmation, on peut mentionner l’évolution de l’attitude des pouvoirs politiques et économiques par rapport aux changements climatiques. Pensons au film d’Al Gore sorti l’année dernière ou au rapport du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ndlr) qui témoigne de l’unanimité du monde scientifique à propos du réchauffement de la planète. Ainsi, la plupart des pays industrialisés – les USA y compris – commencent à admettre que le réchauffement climatique est une réalité. Evidemment, les décisions gouvernementales en faveur des énergies renouvelables laissent encore beaucoup à désirer. Cependant, l’évolution de l’économie verte est étonnement dynamique.

Citons quelques exemples: Selon Le Temps du 19 août 2008, pour la seule Suisse «l’énergie verte subventionnée suscite des projets équivalents en kWh à un réacteur nucléaire».

Le Monde diplomatique d’août 2008 parle de «Gratte-ciel verts, une utopie concrète» en mentionnant l’exemple du Post Tower à Bonn qui ne consomme que 60 kWh/m2/an à la place des 300 à 1000 kWh/m2/an pour la plupart des buildings. Le même Monde diplomatique consacre tout un article à un projet dans le Golfe arabo-persique où l’on prévoit la construction d’une ville pour 50 000 habitants d’un coût de 22 milliards de dollars, sans émission de CO2.

Enfin, selon le PDG de Renault, Louis Schweitzer, «le développement durable n’est ni une utopie ni même une constatation, mais la condition de survie de l’économie de marché» (Le Courrier du 24.6.2008).

Il est donc fort probable que le secteur du développement durable deviendra une branche économique significative dans les (dizaines d’) années à venir, un secteur qui fonctionnera cependant sur le plan social comme n’importe quel autre secteur de l’économie capitaliste.

Entrant dans un domaine un peu spéculatif mais illustrant la dynamique de fond, on peut aller encore plus loin concernant l’imbrication entre économie capitaliste et revendications écologistes. Imaginons que le niveau de la mer monte de 1 à 2 cm à New York et, dans ce cas, dans bien d’autres endroits essentiels au bon fonctionnement de l’économie (Tokyo, Osaka, Shanghai, Bombay, Alexandrie, Amsterdam, etc.).

Dans une telle situation, il n’est pas exclu que les dirigeants de l’industrie et de la finance prennent des mesures extrêmement draconiennes pour contenir la catastrophe climatique. Il sera certainement tard, peut-être même trop tard. Daniel Tanuro, un ingénieur agronome belge, fait remarquer dans un article fort intéressant et très documenté du journal de Solidarités (no 104) que «face à des échéances devenues terriblement pressantes, il n’est pas exclu, par exemple, que les puissances dominantes changent brusquement de cours et utilisent leurs appareils d’Etat pour mobiliser et centraliser toutes les ressources, voire imposer un rationnement, comme en période de guerre… Une telle mobilisation n’aurait évidemment pas pour but de sauver le climat pour tous et toutes mais de le sauver dans la mesure du possible en protégeant les privilèges sociaux».

Yves Cochet (Politis du 5.6.2008) évoque la possibilité de conflits sociopolitiques violents dans les pays industrialisés.

La protection de l’environnement, y compris la sauvegarde de la planète, n’est donc pas fondamentalement incompatible avec l’économie capitaliste. De surcroît, la branche économique du développement durable va se développer massivement et les intérêts de leurs dirigeants entreront de plus en plus en résonance avec les partis verts. Ainsi, ces derniers deviendront de par leur lien «organique» avec ces entrepreneurs verts un relais essentiel d’une branche importante de l’économie capitaliste. Par conséquent, dans la mesure où les partis verts se focalisent de plus en plus sur les revendications environnementales, leur positionnement vers le centre de l’échiquier politique sera non seulement inévitable, mais aussi de plus en plus solide, ce que nous commençons à constater en Suisse romande mais également en Allemagne. Ce repositionnement n’est donc pas uniquement politique, comme il l’était il y a une vingtaine d’années, mais il commence à avoir une assise sociologique.

Les revendications de justice sociale (assurances sociales, salaires, temps de travail, services publics, etc.) et de solidarité internationale (répartition des richesses et écologie) ont une toute autre dynamique. Tout en étant compatibles avec l’économie capitaliste, elles ont tendance à diminuer les revenus de ceux qui vivent du capital et ne correspondent donc pas aux intérêts fondamentaux de l’économie capitaliste (profit maximal pour le capital investi).

Rappelons que ce sont les intérêts contradictoires entre ceux qui vivent du capital et ceux qui vivent de leur travail (ne nous laissons pas obnubiler par les salaires exorbitants de quelques P.-D.G. comme Ospel, Ackerman et autres Brabeck) qui expliquent les inégalités persistantes sur le plan écologique, économique et social entre le Nord et le Sud et, dans les pays industrialisés, le fait que la part des revenus du capital dans le PIB a passé pendant les vingt dernières années de 30% à plus de 40%, et ceci avec une diminution concomitante des salaires.

Compte tenu de cette logique d’intégration de fond du développement durable dans l’économie capitaliste et le risque que cette dernière puisse prendre des mesures extrêmement draconiennes pour la sauvegarde de la planète, des mesures qui se feraient évidemment au détriment des couches défavorisées du Nord et du Sud, la question sociale est plus importante que jamais dans l’orientation politique des partis verts. Il ne s’agit pas de sauver la planète pour elle-même, mais de sauver les conditions de vie de l’ensemble de l’humanité.

Quant à la question sociale, je tiens à préciser qu’elle ne se réduit pas au seul traitement de la pauvreté et de l’exclusion, mais qu’elle concerne aussi les intérêts contradictoires entre ceux qui vivent des revenus du capital et ceux qui vivent des revenus du travail. La position que les verts adoptent face à ce sujet est donc un aspect central pour leur positionnement politique.

Pour que la problématique sociale telle que je viens de la définir – Lipietz parle «d’écologie politique» – puisse (re)devenir un élément central du programme politique des verts, une prise de distance d’avec le «centre politiquement correct» s’impose. Evidemment, une telle prise de distance est généralement décriée et qualifiée de ringarde par les médias et probablement pas très payante sur le plan électoral. Elle présente cependant l’avantage d’avoir sa cohérence éthique et politique. I

*Membre de Verts genevois.

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