NATURALISATIONS À LA SAUCE COMMUNALE
La décision de recourir à l’initiative populaire dans le domaine des naturalisations s’inscrit dans la guerre que mène l’UDC contre le Tribunal fédéral. Ce combat remonte à la condamnation du refus de naturalisations à Emmen en mars 2000. Malgré l’avis favorable des autorités, le peuple avait refusé tous les ressortissants non ouest-européens. Le Conseil d’Etat lucernois s’était vu infliger la révision d’une procédure taxée de discriminatoire.
Depuis, l’UDC n’a de cesse de réaffirmer le droit soi-disant inaliénable de toute commune à choisir librement l’organe décidant des naturalisations, à ne pas en motiver les refus, et interdire tout recours aux déboutés.Il ne faut pas que nos concitoyens se laissent abuser par la rhétorique dont ce parti est coutumier. Le juridisme pointilleux de son argumentaire se double d’un discours enjôleur, caressant dans le sens du poil les Suisses justement attachés à l’originalité de leurs institutions en matière de démocratie directe. Or le recours systématique à des initiatives incompatibles avec les droits fondamentaux et l’obstruction référendaire sont la principale menace de discrédit qui pèse sur ces institutions.
Une lecture attentive de l’argumentaire montre que ce dernier tient en quelques idées simples, pour ne pas dire simplistes. Tout d’abord, il est affirmé que la démocratie consiste à consulter le plus fréquemment possible le peuple, qui a toujours raison. L’histoire n’étant guère avare de conflits souvent meurtriers entre les peuples, il ne faut pas être grand clerc pour comprendre qu’est faite ici l’apologie non pas du peuple mais uniquement du peuple suisse. La base du raisonnement est donc nationaliste, et obéit à la logique xénophobe de la «préférence nationale».
Le terme de national-populisme nous paraît donc amplement mérité. Cette idéologie repose en effet sur la conjonction de la sacralisation du souverain comme entité indissociable, du culte d’un leader charismatique promu son meilleur interprète et du court-circuit des élites et institutions accusées de faire écran à la volonté populaire.
C’est sur cette base fruste qu’est construite la réfutation des décisions du Tribunal fédéral, supposé avoir «brisé l’autonomie communale et la séparation des pouvoirs» et «destitué le souverain en tant qu’organe suprême dans une démocratie directe».
L’UDC oppose radicalement décisions administratives et politiques. Admettre un étranger comme membre de la communauté nationale serait un acte si politique que toute règle d’acquisition offenserait le libre arbitre de cette dernière. Il s’agit ni plus ni moins de légaliser l’arbitraire en politique.
La suite fait sans surprise droit à l’expression de la xénophobie rampante dont le populisme de droite fait ses choux gras. L’UDC s’étend doctement sur ce qui distinguerait le corps national helvétique: le fait d’être fondé sur une libre volonté de ses citoyennes et citoyens. Cette exemplarité certaine est ici mise au service d’un exclusivisme à connotations islamophobes.
En effet, il est ensuite question des «meurtres par honneur», des lapidations d’épouses adultérines et autres dispositions de la charia. Le seul but est de conforter le droit à refuser la nationalité à des ressortissants suspects d’adhérer à des cultures non judéo-chrétiennes. Voici donc confirmé le quatrième trait récurrent des populismes, la focalisation sur un bouc émissaire concentrant sur lui toutes les détestations, et qu’il s’agirait d’extirper du corps social. C’est le rôle où musulmans balkaniques ou maghrébins, noirs et basanés, succèdent aujourd’hui aux ploutocrates juifs de la dernière guerre, aux saisonniers italiens des années 1970, voire aux gitans de toujours. Ce dérivatif aux colères de populations à l’identité meurtrie dispense ces dernières de chercher la cause de leurs maux.
Dans son pamphlet, l’UDC n’hésite pas à accuser les tenants d’une justice régulière dans l’attribution de la nationalité suisse d’ébranler la «sécurité du droit», de fomenter l’assassinat de la démocratie directe et de fouler aux pieds les droits du souverain (sic).
Quel serait donc l’odieux mobile des crimes que les initiateurs attribuent à leurs adversaires? Rien d’autre apparemment que la manipulation de la statistique des étrangers par la «naturalisation en masse».
Faire baisser les quelque 20% d’étrangers résidents en Suisse, record européen, voilà le complot que les xénophobes s’évertuent à dénoncer. Hélas, le taux élevé d’étrangers témoigne probablement plus de la rigueur d’accès à la nationalité que d’une générosité séculaire.
Rappelons que l’accès au passeport suisse est un des plus contraignants et exigeants qui soit. La triple vérification d’assimilation, la prise en compte de critères d’intégration subjectifs, l’exigence de douze ans de résidence, autre record, ont dû décourager nombre de demandeurs potentiels. Par ailleurs, la prégnance d’un droit du sang à connotation ethno-raciale inhibe l’apport des nouvelles générations.
Comment s’y prend l’UDC pour démontrer que la naturalisation serait en Suisse plus permissive qu’ailleurs? Tout simplement en produisant un graphique du taux de naturalisations rapporté non pas à la population étrangère, mais à la totalité de la population résidente. Et dire que ce genre de gymnastique est produit par qui accuse le gouvernement helvétique de statistiques mensongères!
A ces raisons viennent s’ajouter contre-arguments juridiques ou pragmatiques. Ainsi de l’incontestable atteinte à la protection de la sphère privée que constituerait le caractère public de l’information sur les candidats à la naturalisation. Ou encore des disparités résultant de l’impraticabilité d’une procédure électorale dans les communes ayant à traiter plus d’une poignée de prétendants.
Enfin, les matamores de l’UDC n’empêcheront pas à l’avenir notre pays de devoir renoncer à toutes dispositions constitutionnelles violant le droit international.
Nous ne surprendrons personne en engageant nos concitoyens à aller voter NON le 1er juin. Nous invitons les toutefois à faire mieux, compléter la chute récente du tribun Blocher en infligeant une première véritable déroute électorale à son parti. Est-il permis d’espérer que les yeux d’un peuple si fréquemment sollicité finissent par se dessiller?
Quoi qu’il en soit, victoire ou pas, nombre de questions resteront ouvertes. Courir après les initiatives d’une UDC maîtresse de l’agenda politique ne saurait tenir lieu de stratégie.
Si une certaine lassitude née des échecs précédents obère la réplique démocratique, elle n’explique pas son incapacité à constituer un front offensif. Batailles à reculons et vitupérations avant-gardistes se sont conjuguées pour inhiber un projet crédible d’extension des libertés.
Lorsqu’une fraction croissante de la population est confrontée à la dégradation rampante de ses conditions d’existence, toute concession aux social-protectionnistes ouvre un boulevard à la démagogie souverainiste. Inversement, ne déceler dans cette dernière que la pointe avancée de l’ultralibéralisme économique, tient d’un social-radicalisme compromettant toute démarche unitaire.
C’est en se gardant à la fois de ces deux écueils qu’il conviendra d’élaborer des objectifs clairs et audacieux, prenant le contre-pied de la pseudo-démocratie directe à la sauce blochérienne. I