Les victimes de Fukushima sous les pressions au retour
«Cinq ans après l’accident nucléaire, des vagues déferlent toujours sur notre département de Fukushima, mais ce sont celles des incitations au retour des habitants et à la reconstruction. Au niveau local aussi bien que national, on peut voir diverses mesures se mettre en place en vue des Jeux olympiques de Tokyo de 2020. Ainsi s’estompe jour après jour l’accident nucléaire comme s’il avait maintenant pris fin.» (Ruiko Muto, habitante de Fukushima)
Or la réalité est tout autre. Fukushima est une catastrophe en cours – tout comme Tchernobyl où les conséquences sanitaires continuent de s’aggraver avec la concentration de radionucléides dans les aliments qu’ingère la population – et avec l’accumulation des radionucléides de longue vie dans l’eau et la terre.
Dans une lettre ouverte, Mme Ruiko Muto demande à l’Organisation mondiale de la santé (OMS) d’assumer son rôle d’autorité sanitaire internationale et de diriger et coordonner des études épidémiologiques systématiques afin d’évaluer les conséquences sanitaires de la radio-contamination due à la catastrophe de Fukushima, en particulier pour les enfants.
Sa lettre était livrée en mains propres au siège de l’OMS par Mme Yayoi Hitomi, une autre résidente de Fukushima, vendredi 11 mars 2016, ainsi que 5850 grues origami en papier, symboles de paix et de guérison, lié à la radioactivité depuis la bombe d’Hiroshima. Ces grues en papier ont été fabriquées par des personnes partout dans le monde1 value="1">L’Action 1000grues.ch est un cri citoyen pour que soient entendus ceux qui luttent parfois même au péril de leur liberté pour le droit à la santé des victimes de la radioactivité, www.1000grues.ch.
Une étude de 2015 démontre un risque de développer un cancer de la thyroïde douze fois plus élevé parmi les résidents de Fukushima, comparé au reste de la population japonaise. Or nous savons, depuis l’expérience de Tchernobyl, que les cancers de la thyroïde sont les premiers effets sanitaires à se manifester et ils seront suivis par une myriade d’autres problèmes, pas uniquement cancéreux. L’augmentation de toutes sortes de maladies va apparaître car les rayonnements ionisants endommagent le système immunitaire et ont des effets sur tous les organes humains. Les effets génétiques sont, bien sûr, irréversibles.
Pourtant, les populations évacuées sont mises sous pression pour retourner vivre dans les zones inhabitables. En 2011, le gouvernement japonais a été fortement critiqué pour avoir relevé à 20 mSv/an, à la suite de l’accident, la limite permise de 1 mSv (acceptée internationalement et établie par la Commission internationale de protection radiologique). Pour les enfants, c’est criminel, car ils sont beaucoup plus vulnérables que les adultes.
Le premier ministre, Shinzo Abe, aggrave son cas aujourd’hui en exerçant une forte pression sur les personnes évacuées afin qu’elles retournent chez elles, en déclarant que certaines zones d’évacuation sont habitables et en mettant fin aux compensations financières en cas de non-retour.
Selon ses propres mesures, Greenpeace déclare que le niveau de radioactivité, même après décontamination, est beaucoup trop élevé dans ces zones – jusqu’à dix fois la dose permise pour les civils. L’Agence internationale de l’énergie atomique et le gouvernement japonais sont accusés de créer l’illusion qu’«un retour à la normale» est possible actuellement.
Arnie Gundersen, de Fairewinds, vient d’envoyer un reportage depuis la préfecture de Fukushima: y est décrit un paysage jonché de 30 millions de sacs de déchets pesant chacun 1 tonne. Un incinérateur destiné à en brûler 10 tonnes par jour est en construction. L’opération prendrait 3 millions de jours, à peu près huit mille ans – et qu’en est-il des émissions?
Chaque jour, de nouveaux sacs sont remplis par des travailleurs mal protégés et viennent encombrer des cours d’école ou des jardins d’habitations. Avec la discrétion bien connue des Japonaises, Mme Muto remarque que «l’administration recourt à une gestion très grossière du traitement des déchets».
Au-delà de la souffrance physique et émotionnelle, la catastrophe de Fukushima a, selon le Financial Times, déjà coûté aux contribuables japonais la somme de 100 milliards de dollars.
Lors de l’entretien, l’OMS compatit mais reproduit les contrevérités habituelles. Apparemment l’OMS se base toujours sur le modèle Hiroshima (exposition massive, externe, en quelques secondes), inapproprié pour évaluer les conséquences sanitaires des accidents nucléaires où l’exposition est chronique, interne et de faible dose. Or il s’agit de deux phénomènes biologiques distincts. Comme pour Tchernobyl, l’OMS affirme que les problèmes sanitaires les plus graves de l’accident de Fukushima sont les effets psychologiques et sociaux. Pour couronner le tout, l’OMS affirme que, en dessous de 100 mSv par an (voire 500 mSv!), il n’y a aucune preuve d’effets sanitaires.
Notes
* Membre indépendant OMS - Santé et Nucléaire.