La santé c’est d’abord un choix politique et gouvernemental
On entend trop souvent chez nous que la santé est un problème individuel. Et beaucoup d’élus voudraient pénaliser les fumeurs ou les vieux ou pour le moins donner un bonus aux gens qui ont un comportement «vertueux».
Pourtant l’OMS ne cesse de répéter que le niveau de santé dépend d’abord de l’endroit où l’on est né, où l’on vit et l’on travaille, ce qui va conditionner accessoirement des comportements qui influent sur la santé.
Aujourd’hui je veux vous parler du Nicaragua, d’où j’écris. Ce pays a connu un gouvernement populaire dans les années 1980 à la suite d’une révolution armée, menée par le Front sandiniste de libération nationale (FSLN) ayant renversé une dictature familiale de près de cinquante ans. En dix ans il a réussi à diminuer la mortalité infantile de moitié, la ramenant à 40 pour mille, et le taux d’analphabétisme à moins de 15%, alors qu’il dépassait les 50% à la fin des années 1970.
Après les élections de 1990, la droite a repris le pouvoir et trois gouvernements successifs ont pendant dix-sept ans appliqué les diktats du FMI et de la Banque mondiale de réduction budgétaire publique et de privatisation.
Il faut dire que le Nicaragua est un pays dépendant pour au moins 40% de l’aide publique extérieure et des transferts de fonds de la diaspora émigrée essentiellement aux USA.
Quand les sandinistes ont regagné le pouvoir en 2006, ils ont trouvé un pays exsangue. Il y avait une crise énergétique avec des coupures d’électricité permanentes qui perturbaient la production et la vie quotidienne des gens, d’autant qu’elles étaient souvent associées à des coupures d’eau. Les hôpitaux, qui n’avaient pas eu la maintenance minimale, étaient souvent dépourvus des médicaments essentiels (au sens de l’OMS). L’école n’étant plus gratuite, la désertion était extrêmement importante. Il en a résulté une stagnation de la mortalité infantile durant toues ces années, malgré la poursuite des campagnes de vaccination largement soutenues par UNICEF et la Fondation Bill Gates, et le taux d’analphabétisme est remonté à 35% dans les campagnes et à près de 20% dans les villes.
Grâce à l’aide du Venezuela, en particulier à travers l’ALBA, le nouveau gouvernement a décidé de s’attaquer à la pauvreté en menant des programmes socio-productifs et de microcrédits pour stimuler l’économie familiale et des petits producteurs. Il a aussi assuré des conditions cadres permettant aux grands producteurs et aux entreprises en tous genres d’investir dans le pays. Il a développé les infrastructures en particulier dans le domaine de l’énergie et des routes. Actuellement, plus de 80% de la population a accès à l’électricité et la dépendance au pétrole a passé de 80% à moins de 40%, grâce à des projets géothermiques et hydro-électriques et, dans les campagnes, photovoltaïques. L’amélioration du réseau routier a permis aux producteurs, notamment agricoles, de mieux pouvoir distribuer leur production mais a aussi facilité l’accessibilité aux soins. Le gouvernement a aussi essayé de recréer une certaine cohérence du système de santé. Tout en laissant un secteur privé, il a développé un système de prévoyance pour les salariés et gardé et redynamisé un secteur public et gratuit auquel 60% de la population a recours. Il a rendu l’éducation publique gratuite tout en laissant, en particulier dans les zones urbaines, un secteur privé important.
Dix ans plus tard, les résultats sont là: la mortalité infantile a baissé à 20‰ et le taux d’analphabétisme est de moins de 10% (avec encore un gradient ville-campagne important). Le taux de dénutrition infantile est très bas (au moins dans les zones urbaines où habite plus de 58% de la population), l’indice de GINI (qui mesure les inégalités sociales) s’est bien amélioré et les gens se sentent subjectivement mieux. La sécurité et le sentiment de sécurité se sont notablement améliorés, faisant du Nicaragua l’un des pays les plus sûrs d’Amérique centrale.
Cela semble être un miracle, d’autant que ces améliorations sont intervenues en pleine crise économique mondiale. Mais c’est le fruit d’une politique gouvernementale volontariste, en particulier dans des négociations âpres avec le FMI et la Banque mondiale, qui a permis de redistribuer la richesse en stimulant la production même dans le secteur informel, qui est essentiel pour faire tourner l’économie puisqu’il englobe 60% des emplois.
C’est un exemple, assurément imparfait, qui pourrait inspirer d’autres gouvernements mais aussi tous ceux qui cherchent à trouver une solution aux crises humanitaires. Cela montre que, même dans ce monde globalisé, il y a des espaces possibles pour des pays afin d’accroître l’espérance de vie de leur population. Mais il est clair que l’amélioration de la santé passe par une volonté politique d’inclusion plutôt que d’exclusion.
* Pédiatre FMH et président de Médecins du monde Suisse.