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Quelle économie pour la transition?

ALTER-ÉCONOMIE • Les deux faces d’une même médaille. Economie sociale et solidaire et développement durable partagent une même vision de l’économie, qui intègre les dimensions sociales et environnementales. Eclairage d’Après-Genève, la chambre d’économie sociale et solidaire.

La prise de conscience que notre modèle de développement n’est viable ni écologiquement, ni socialement, se répand. De la banque à l’assurance, de la mobilité au logement, de l’agriculture à l’éducation, les alternatives se développent sur le terrain. Nombre d’entre elles se revendiquent de l’économie sociale et solidaire (ESS) ou du développement durable (DD), voire des deux. En réalité, tels que définis par les textes fondateurs, ce sont deux faces d’une même médaille.

Les exigences pour un développement durable émanent en premier lieu des organisations onusiennes et visent à fixer un cadre écologique et social à la mondialisation. Il s’agit d’un «développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs», selon la définition adoptée en 1987 par la Commission des Nations Unies pour l’environnement et le développement.

La notion exprime une dimension universelle et une approche holistique, inclusive et multifactorielle. Elle se nourrit des recherches scientifiques sur les enjeux écologiques1 value="1">LaRevueDurable, n° 41, mars-avril 2011, «Dessiner la carte des frontières planétaire de l’humanité», pp. 18-22. et sociaux globaux, et dans une perspective Nord-Sud. Les principes en sont normatifs. Ils ont pour but de réorienter les économies et les sociétés de manière à assurer la viabilité de notre planète pour les générations futures; il s’agit aussi de maximiser l’impact sociétal et de vérifier que l’activité économique reste dans le périmètre du bien public, de l’équité, du respect des humains et des équilibres de la biosphère.

La vision est top down (approche descendante) et compte pour sa mise en œuvre sur les citoyens et les institutions privées et publiques – gouvernements, entreprises grandes et petites, ONG. Validé lors de la Conférence de Rio de 1992, l’Agenda 21 vise directement une dizaine de groupes spécifiques2 value="2">www.un.org/french/events/rio92/agenda21/action0.htm (chapitres 24 à 32).: action mondiale en faveur de la participation des femmes à un développement durable et équitable, rôle des enfants et des jeunes dans la promotion d’un développement durable, reconnaissance et renforcement du rôle des populations autochtones et de leurs communautés, renforcement du rôle des organisations non gouvernementales, initiatives des collectivités locales, renforcement du rôle des travailleurs, de leurs syndicats, du commerce, de l’industrie, de la communauté scientifique et technique, des agriculteurs.

A l’heure qu’il est, l’impact du DD est freiné par des intérêts politiques et économiques à court terme, et par des lobbies qui refusent de changer de paradigme et de s’inscrire dans le bien commun, tant que le statu quo leur est favorable. En Suisse, on l’observe très clairement avec les débats sur l’économie verte (avec le contre-projet du Conseil fédéral à l’initiative des Verts), et sur la transition énergétique (avec la Stratégie 2050 du Conseil fédéral), deux objets se trouvant devant le parlement fédéral et faisant l’objet de fortes controverses.

Divers acteurs politiques ou économiques continuent de s’opposer frontalement aux grands principes du DD et nient, ou minimisent, les grands enjeux écologiques – comme la responsabilité humaine dans les changements climatiques – et sociaux. Les principes du DD sont exigeants et obligent à repenser notre mode de produire et de consommer. Or, face à cela, certaines actions se réclamant du DD restent bien trop limitées ou partielles, notamment en raison du temps important nécessaire pour convaincre, ou alors ressortissent de la catégorie marketing pur (on parlera alors de greenwashing).

Dans sa définition, le DD aborde clairement la dimension sociale, tant sous l’angle géographique (relations Nord-Sud) que sous l’angle des inégalités3 value="3">Voir www.are.admin.ch/dokumentation/publikationen/00014/00562/index.html?lang=fr, en faisant écho au Pacte des Nations Unies sur les droits économiques, sociaux et culturels4 value="4">Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, New York, 16 décembre 1966, treaties.un.org/Pages/ViewDetails.aspx?src=TREATY&mtdsg_no=IV-3&chapter=4&lang=fr; il est entré en vigueur le 3 janvier 1977.. Egalement dans son périmètre: l’accès des pays les moins avancés (PMA) aux marchés du Nord et le respect des conventions de l’Organisation internationale du travail (OIT), ou encore la promotion de la santé (Charte d’Ottawa).

Le DD implique nécessairement une réflexion sur la hiérarchie des besoins et l’utilité sociale. Selon le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), «l’économie verte est une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources»5 value="5">Programme des Nations Unies pour l’Environnement, «Vers une économie verte, Synthèse à l’intention des décideurs», Nairobi 2011, p. 9.

Pour atteindre ces objectifs, les énergies renouvelables, la réparabilité, la culture bio et équitable, l’économie circulaire et collaborative, l’habitat coopératif, ou encore la relocalisation solidaire, doivent croître de beaucoup. Ainsi seulement pourront décroître l’usage d’énergies fossiles et fissiles, la concentration urbaine, les monopoles sur les semences ou la perte des sols, entre autres exemples. I

* Membres du comité de l’association Après-Ge, chambre de l’économie sociale et solidaire.
 

Economie sociale et solidaire: une exigence de dignité humaine

L’économie sociale et solidaire (ESS) est née au XIXe siècle des conditions de travail inacceptables de la révolution industrielle. Le projet initial était de développer des entreprises qui soient la propriété de travailleurs associés dans leur gouvernance (modèle des coopératives de production). Les richesses produites sont soit partagées entre les copropriétaires, soit injectées dans le développement des activités ou encore investies dans des projets utiles à la collectivité.

La volonté était aussi de permettre l’accès des travailleurs à des biens et services de première nécessité au travers de coopératives de consommation, des mutuelles de santé, des services financiers et des premières assurances. A l’époque, ceux-ci faisaient défaut ou étaient hors de prix du fait d’intermédiaires usuriers.

Jusqu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, l’ESS s’est largement développée en Europe. La Suisse n’a pas fait exception: les coopératives agricoles, de santé, d’assurance, de distribution, de logement, entre autres, se comptaient par milliers. Mais divers facteurs ont contribué à son déclin durant les Trente Glorieuses, notamment l’avènement des assurances sociales, puis celui des assurances commerciales, qui ont repris progressivement certaines des prestations inventées et développées par les coopératives à l’intention de leurs membres.

Celles-ci ont aussi été progressivement bousculées par la concurrence. La confiance aveugle en la croissance des biens comme solution aux inégalités a fait le reste, faisant passer pour obsolète ce qui préfigurait en fait l’avenir. En conséquence, de nombreuses coopératives se sont muées en sociétés à but lucratif, notamment dans les domaines de l’assurance et de la santé, ou se sont comportées comme telles. Le sentiment dominait que le modèle coopératif était d’un autre âge et qu’il fallait donc en abandonner les références. Une vision erronée, mais qui reste, aujourd’hui, encore bien ancrée dans l’imaginaire collectif.

Dès les années quatre-vingts, l’émergence de nouveaux besoins sociaux tant au Nord qu’au Sud, notamment avec une forte recrudescence du chômage et de l’exclusion dans les pays industrialisés, les besoins en garde d’enfants et de personnes âgées ainsi que la reconnaissance des frontières écologiques de la planète ont insufflé une nouvelle dynamique. Des organisations et entreprises de l’ESS ont vu le jour en grand nombre, guidées par des valeurs sociales, solidaires et écologiques, redonnant aux idées pionnières l’attention qu’elles méritaient.

Par nature, le développement de l’ESS est donc bottom up (démarche ascendante) Historiquement, l’ESS a cherché à modifier les pratiques de production, puis a innové avec de nouveaux services aux travailleurs. Depuis les années septante, des organisations soutenant des causes sociales et écologiques, souvent associatives et avec une orientation moins économique, ont vu le jour. Plus récemment, des sociétés anonymes à but lucratif limité, ainsi que des nouvelles coopératives, ont relancé des initiatives dans différents secteurs. A Genève, on peut citer Les Jardins de Cocagne, la Banque alternative ou les coopératives d’habitation regroupées autour de la Codha.

Aucune initiative internationale n’existe encore qui consignerait une normativité venue «d’en haut» pour l’ESS. Les Rencontres du Mont-Blanc, sommet international des dirigeants de l’ESS, et les rencontres du RIPESS (Réseau international de promotion de l’ESS), tentent de combler cette lacune. Quand l’ESS parvient à s’inscrire dans les législations – ce qui n’est pas encore le cas en Suisse –, c’est en tant que modèle spécifique, un peu à l’image du commerce équitable ou du label bio, ou alors comme «économie palliative», de «réparation», comme l’illustrent les entreprises actives dans l’insertion.

L’ESS, telle qu’elle est définie en Suisse, non seulement respecte les principes du développement durable (DD), mais les concrétise à travers ses axes centraux, comme la lucrativité limitée, la participation des travailleurs et l’intérêt collectif des biens et services produits. Sur ce plan, l’ESS va plus loin et donne plus d’ampleur aux exigences du DD. Chaque initiative pertinente trace ainsi la voie vers un autre modèle d’économie et de société et fait figure de laboratoire d’un futur désirable. Reste que désormais, riche de ses réussites et de ses expériences, il s’agit pour l’ESS de changer d’échelle afin que son ambition réformatrice influence vraiment le modèle dominant. En développant sa détermination de devenir le standard de demain et en montrant le champ des possibles, elle peut devenir un acteur majeur de la transition et accomplir sa raison d’être: montrer qu’une autre économie est possible. Dès lors, dès qu’il est question de DD c’est, tout naturellement, aussi d’ESS qu’il faudra parler.

CDd et RLt

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