De l’illusion sécuritaire à la ville sûre
A l’ère des nouvelles technologies d’information, la vidéosurveillance urbaine devient très à la mode. Les tentatives de sécurisation des espaces communs s’appuient sur une quincaillerie sécuritaire «high-tech» de plus en plus sophistiquée. Bien que des rapports successifs attestent de l’efficacité limitée de ces dispositifs, ils continuent à être présentés comme l’alpha et l’oméga de la lutte contre l’insécurité. De fait, ils ne peuvent avoir d’effet que sur des objectifs précis, dans des conditions techniques spécifiques et surtout à condition de bénéficier d’une structure de fonctionnement adaptée (PC de gestion, qualité des liaisons, équipe mobile et rapidité d’intervention). L’usage contrôlé des techniques de surveillance n’empêche pas leur plein essor, même si leur impact le plus évident consiste le plus souvent à déplacer le problème ailleurs. L’utilisation des technologies disciplinaires de toutes sortes bascule de plus en plus vers le secteur marchand. La progression des petits délits et des incivilités dans les commerces et dans les espaces privés ouverts au public reste un puissant ressort d’une demande de protection souple et discrète et de présence humaine qui n’est plus attendue de la police. Des dispositifs de gardiennage privés de plus en plus qualifiés se développent. Une redistribution des rôles est en marche dans le secteur de la production sécuritaire.
La ville contemporaine serait-elle minée par les fauteurs de troubles, la violence et la défiance que ses habitants se portent les uns envers les autres? Sans être imaginaire, l’insécurité se développe aussi sur le registre des représentations collectives. Face à la croissance du sentiment d’insécurité, les élus, tous cadrans politiques confondus, jouent la carte de l’investissement dans les dispositifs de «pacification». Ils sont tenus par l’opinion publique de se saisir du problème et de concevoir de nouveaux modèles de «production de la sécurité». L’urbanisme et l’architecture sont aussi mis à contribution dans le cadre général des politiques de réduction des risques urbains. La reconfiguration de l’espace public et ses équipements doivent faciliter la prévention et dissuader le nouvel «ennemi intérieur» de passer à l’acte. Traitement de lieux et action sur les personnes doivent converger.
Certes, la mise sous surveillance des espaces communs (publics ou privés) ne peut être utilisée que dans un esprit clair de respect des droits des citoyens et des libertés publiques. Elle doit trouver sa justification en fonction des risques recensés et du niveau d’acceptation de la population. De fait, dans le climat d’insécurité actuel, les dispositifs sécuritaires semblent proliférer davantage par effet d’imitation plus que sur la démonstration de leur réelle efficacité collective. L’insécurité ne recule pas, mais «on s’en occupe». Comme les autres, quoi. Dans la surenchère sécuritaire. Peut-on s’en occuper autrement?
L’insécurité est un élément constitutif de la vie urbaine et un de ses défis permanents. Menace pour l’urbanité, elle est la contrepartie des libertés que la ville nous offre: la rançon de son propre mouvement. Nous ne pouvons ni l’éradiquer ni la banaliser. Pas plus que nous pouvons la résumer à la stigmatisation et à la répression des plus faibles ou à la prolifération des techniques disciplinaires de surveillance. Nous pouvons seulement la réguler par une nouvelle gouvernance globale de la gestion des risques sociaux associant autorités publiques, société civile et médias. Nous pouvons aussi la faire reculer par une conception d’espaces publics sûrs, conviviaux, agréables et ouverts à la multiplicité des usages, enchantés par des aménagements de qualité mais aussi animés par la coprésence bienveillante de l’Autre.
* Professeur à l’Institut de géographie, université de Lausanne, et directeur de l’Observatoire universitaire de la ville et du développement durable, (réseau de chercheurs). Texte paru dans Vues sur la ville n° 29, déc. 2012, revue semestrielle de l’Observatoire, www.unil.ch/ouvdd