Santé en ligne: qualité discutable et discutée
En cas de maladie, on ne fait plus forcément appel à son médecin de famille. «De plus en plus de gens prennent des décisions tout seuls, sans consulter un praticien», relève Nicola Diviani, spécialiste de la recherche d’informations en ligne à l’université de Lucerne. A la place, les patients vont pêcher des diagnostics ou un deuxième avis sur internet.
Cette évolution leur donne plus d’autonomie et réduit les coûts de la santé. Elle comporte toutefois une face plus sombre. En 2015, une enquête de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) a montré que les compétences en matière de santé de 54% de la population suisse étaient «problématiques» à «insatisfaisantes». En comparaison européenne, la Suisse se trouve dans la moyenne inférieure. Les Pays-Bas arrivent en tête (29%) et la Bulgarie ferme la marche (62%). Selon l’OFSP, ces mauvais résultats proviennent principalement d’une particularité helvétique: l’attitude sceptique, voire critique à l’égard des vaccins.
Le problème avec les informations en ligne est justement lié au niveau de compétences en matière de santé, a constaté le chercheur sur la base d’une revue de la littérature. «La difficulté n’est pas de trouver les informations, mais de les évaluer.» Les personnes ayant peu de connaissances s’en remettent davantage aux sites de qualité modeste qu’à ceux de bonne qualité. Les raisons de cette situation préoccupante? Les gens ne font pas confiance à l’administration publique, utilisent le classement des résultats de recherche comme un indicateur ou se fient plus à la qualité des photos qu’à celle du contenu.
Sur la base d’interviews et de questionnaires, Nicola Diviani a également découvert que la plupart des 44 sujets interrogés ne remettaient même pas en question la qualité des sites. Un constat problématique, car «il n’est pas possible de contrôler le flux des informations en ligne».
C’est pourtant l’objectif que s’est fixé la fondation genevoise Health on the Net en décernant des certificats aux sites qui remplissent ses critères. Celui de la Ligue suisse contre le cancer est ainsi certifié depuis dix-huit ans. La fondation met également à disposition des outils de recherche pour pouvoir s’orienter dans la jungle des informations.
Tous les experts ne jugent cependant pas la situation aussi préoccupante. «On fait souvent l’erreur de considérer internet comme un ensemble uniforme, argue Jennifer Cole de l’université de Londres. La capacité d’une personne à évaluer un site ou l’organisation qui est derrière lui importe plus que son aptitude à apprécier l’information fournie.» Aucune étude n’indique que des gens ayant peu de compétences en matière de santé ont agi de façon insensée ou subi un préjudice après avoir cherché des renseignements en ligne.
Jennifer Cole et son équipe ont fait évaluer trois forums de discussions sur le VIH, le diabète et la varicelle. Ils sont arrivés à la conclusion que leur contenu était dans la plupart des cas de «qualité suffisante». Pour la scientifique, les plateformes de discussion se démarquent des autres offres sur internet. «Les usagers voient si d’autres personnes sont d’accord ou non avec les informations fournies et appellent éventuellement à la prudence.» La plateforme de l’Association of Cancer Online Resources, acor.org, constitue un bon exemple. Des malades du cancer et leurs proches y donnent depuis plus de vingt ans des conseils et exigent aussi parfois, selon son fondateur Gilles Frydman, que les affirmations soient prouvées.
Nicola Diviani et Jennifer Cole estiment tous deux que l’éducation et la qualité des informations sont importantes. Jennifer Cole souhaite cependant davantage de débats que de données statistiques unilatérales, même sur des thèmes controversés comme les vaccinations. «Lorsque les gens échangent au sujet de leurs sentiments et de leurs craintes, l’opinion de la majorité est sans doute la plus raisonnable.»
Rédacteur scientifique du Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS). Paru dans Horizons n° 111, décembre 2016, www.snf.ch/fr/