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«Soigné·es par terre dans les couloirs»

L’hôpital Sud à El Fasher, soutenu par ­Médecins sans frontières, est l’un des seuls encore ouverts dans le nord du Darfour. Depuis que les ­affrontements armés ont éclaté au Soudan il y a dix jours, les équipes médicales prennent en charge des centaines de blessé·es. «La situation est catastrophique», alerte le coordinateur du projet Cyrus Paye. Témoignage.
Soudan

Il y a actuellement de violents combats à El Fasher. Nous entendons toujours des coups de feu au sein de notre enceinte, au moment où je parle. La situation est très périlleuse du fait des tirs et des bombardements – il y a eu un grand nombre de victimes civiles. A l’hôpital que nous soutenons, nous avons reçu 279 personnes blessées depuis le début des combats (le 15 avril) et 44 sont décédées. La situation est catastrophique. La majorité des blessé·es sont des civil·es qui ont été touché·es par des balles perdues, et beaucoup d’entre iels sont des enfants. Iels souffrent de fractures, blessures par balle ou causées par des éclats d’obus reçus dans les jambes, l’abdomen ou la poitrine. Beaucoup ont besoin de transfusions sanguines. Il y a tellement de patient·es qu’iels sont soigné·es par terre dans les couloirs, parce qu’il n’y a tout simplement pas assez de lits pour accueillir autant de blessé·es.

Jusqu’à la mi-avril, l’hôpital Sud n’avait aucune capacité chirurgicale. C’est une maternité que nous avons commencé à soutenir l’année dernière dans l’objectif de réduire le taux élevé de mortalité maternelle dans la région. Cependant, depuis le début des combats, nous avons dû réorganiser l’hôpital pour pouvoir soigner les blessé·es.

Tous les autres hôpitaux de la ville ont dû fermer en raison de leur proximité avec les combats ou car le personnel ne pouvait pas y accéder à cause de l’intensité du conflit. Les chirurgien·nes de ces hôpitaux sont désormais à l’hôpital Sud et ont pu effectuer un certain nombre d’opérations chirurgicales. Cependant, ils s’épuisent rapidement. Nous avons pu rejoindre l’hôpital pour le réapprovisionner mardi (le 18 avril), lorsque les combats se sont calmés, mais si nous ne pouvons pas acheminer davantage de matériel au Darfour – et si nous continuons à recevoir autant de blessé·es – notre stock ne pourra durer que trois semaines.

Actuellement, au Soudan, rien ne peut circuler. Les aéroports à travers le pays ont tous été fermés depuis le début des combats et il y a des affrontements dans les rues. Nous ne pouvons donc pas acheminer davantage de matériel vers le Darfour du Nord – ou dans le pays. Le Tchad a fermé sa frontière. Donc, si la situation ne change pas et que l’accès humanitaire n’est pas garanti, il y aura encore plus de décès.

Dans l’état actuel des choses, les deux salles d’opération qui ont été créées ne peuvent pas faire face à l’afflux incessant de patient·es souffrant de traumatismes et ceux des urgences obstétriques. A la maternité, il y a actuellement deux femmes dans chaque lit. Auparavant, un hôpital voisin effectuait chaque jour toutes les césariennes d’urgence – environ trois à cinq – et plus de 30 accouchements normaux s’y déroulaient quotidiennement. Maintenant, tout cela a lieu à l’hôpital Sud, en plus des opérations des chirurgiens traumatologues. Nous venons d’apprendre qu’hier soir, l’hôpital pédiatrique où nous référions les nouveau-nés a été complètement pillé, ce qui signifie que nous n’avons dorénavant nulle part où transférer les enfants nés avant terme ou atteints de septicémie. Il n’y a pas d’incubateur à l’hôpital Sud, ce qui rend difficile le maintien en vie de ces enfants.

L’équipe actuelle est débordée. Elle a travaillé 24 heures sur 24. Nous explorons les options pour faire venir dans le pays du matériel et des chirurgien·nes traumatologues expérimenté·es pour fournir un soutien lorsque la situation le permet, mais – comme c’est le cas avec le matériel médical – actuellement, ce n’est pas possible.

Il est essentiel que nous puissions avoir accès à tous les établissements de santé du pays. Actuellement, c’est ce qui sauvera la vie des gens. Les agent·es de santé et les secouristes ont tous et toutes été immobilisé·es par les combats. En conséquence, les décès se multiplient. Pour espérer une amélioration de la situation, il faut deux choses: un accès humanitaire et l’engagement des parties belligérantes à épargner la vie des civils.

Opinions Cyrus Paye Soudan

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