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«La gauche gouvernementale, cette droite molle»

Balmain Badel déplore la posture «légaliste» du Conseil d’Etat, après l’invalidation par l’exécutif de l’initiative pour la gratuité des transports publics déposée par les jeunesses des partis de gauche.
Canton de Genève

Après avoir récolté plus de 10 000 signatures en l’espace de quatre mois et déposé non sans une certaine fierté leur initiative «Pour des transports publics gratuits 1>Lire Maria Pineiro, «Pas de vote sur la gratuité des TPG», et l’éditorial de Philippe Bach dans Le Courrier du 16 février 2023., écologiques et de qualité» l’été dernier, les Jeunes POP, la Jeunesse solidaire, les Jeunes vert·es et les Jeunes socialistes genevois·es espéraient ne pas subir le même sort que leurs homologues fribourgeois·es: une invalidation, par le gouvernement cantonal, de la mesure présentée à cause d’une potentielle incompatibilité de cette gratuité avec l’article 81a de la Constitution fédérale, qui prévoit qu’une «part appropriée aux coûts» soit payée par les usagers. Alors, en attendant l’avis du Tribunal fédéral quant à cette disposition, à l’origine introduite pour ne concerner que le réseau ferroviaire, on se rassure comme on peut.

On commence en se disant que dans les cantons de Neuchâtel ou de Vaud, une telle invalidation n’a pas eu lieu, et que Fribourg restera un cas isolé. On se dit qu’après tout, à moins de déambuler bien loin du réel, une telle mesure a tout son sens. Tant de sens que le légalisme bête et méchant devrait attendre, pour une fois. Que les temps politique et juridique pourraient, en exclusivité, s’adapter à l’air du temps. Et puis qu’on est en démocratie, une de celles «que le monde nous envie», et que la volonté de la population exprimée par le nombre de paraphes obtenus serait respectée, avec un inévitable passage en votation à l’arrivée.

On creuse encore et on pense que l’urgence climatique dans laquelle nous sommes plongé·es et la bifurcation qu’elle nous oblige à entreprendre nécessitent des mesures fermes, et pas si coûteuses que ça, quand on y réfléchit. Surtout quand on pense aux richesses concentrées, ne serait-ce que dans notre tout petit bout de territoire. De la richesse en barre. Et qu’il est certainement nécessaire aussi de trouver des alternatives à la voiture en ville et toutes les tares qu’elle trimballe avec elle, à commencer peut-être par la fragilité de plus en plus flagrante de nos approvisionnements énergétiques et les conséquences multiples qui vont avec, notamment quand un ménage au budget serré doit passer à la pompe pour se rendre au travail.

Avec aussi, sur un plan plus profond, l’envie de commencer à contrer, à notre minuscule échelle, cette culture de l’individualisme, de la fragmentation, cristallisée dans certains modes de mobilité et sur laquelle n’importe qui a déjà ronchonné, pour lui préférer une culture des communs, du partage, de la gratuité. Certain·es trouveront ça désuet ou candide. Avant de retourner ronchonner sur «l’individualisme» et la vie chère.

Il y a aussi eu, sans doute, une croyance sincèrement naïve dans le fait de pouvoir compter sur les socialistes et les Vert·es, détenteur·ices de la majorité au Conseil d’Etat de notre canton, pour soutenir cette idée, qui se voulait à la fois «écologique et sociale»… Mais, en fait, non. On retombe sur terre, dans cette société en retard sur tant d’aspects, et dirigée par des personnes adaptées à celle-ci, modelées par celle-ci. On n’est pas tant étonné, mais quand même bien déçu.

Pas tant étonné, parce qu’en bon marxiste, on sait que leurs étiquettes ne valent rien à côté de leur classe. Ils et elles défendront d’abord et avant tout les intérêts de leur camp social avant ceux de leur camp politique. Autant dire que ce camp politique n’est qu’un écran de fumée qui dissimule le camp social. Autant dire que nous ne sommes pas du même camp social. Et donc pas du même camp politique. Ils et elles sont nos adversaires de classe et accomplissent parfaitement cette fonction. Ils et elles ne sont donc pas de gauche, puisque nous le sommes et qu’ils et elles sont nos adversaires. La gauche bourgeoise n’est pas une gauche, c’est une droite molle.

Et on réfléchit à comment la changer, cette belle démocratie que le monde nous envie, et vite. Juste pour éviter que quand il sera trop tard, les modes d’action soient moins gentils et moins soumis qu’une récolte de signatures à bout de bras, qui peut être balayée d’un revers de main par la droite molle. Mais la politesse veut qu’on remercie tout de même l’honnêteté. Car oui, s’il y a bien une chose que l’on ne peut pas enlever à notre classe dirigeante pour le coup, c’est bien ça: l’honnêteté.

C’est un message que ces formations nous envoient à la figure avec cette invalidation, prétendument légaliste, et un message on ne peut plus clair, qui donne à peu près ça: «Les mesures incitatives, ça peut encore attendre, aussi longtemps qu’on peut attendre. Et c’est pas nous qui allons faire pression sur le Tribunal fédéral pour que ça change – le courage, c’est pas trop notre fort. Et puis, le social, c’est pas trop notre truc non plus. Si vous avez besoin d’aide, allez à l’Hospice, vous y serez bien reçu. La jeunesse qui se mobilise politiquement à côté de toutes ses obligations? Du balai. Et n’oubliez pas de voter pour nous aux prochaines élections, pour une société plus juste et plus verte, hein!»

Notes[+]

Balmain Badel, jeune POP Genève, candidat au Grand Conseil.

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