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Et si l’inflation atteignait 100%?

En se répercutant sur les coûts de production et les prix des denrées alimentaires, l’inflation touche de plein fouet les personnes en situation précaire. Dans l’hémisphère Sud, le problème prend une tout autre dimension qu’en Europe.
Relations Nord-Sud

En juin 2022, Caritas Suisse a analysé les hausses de prix dans une vingtaine de pays. A cette période déjà, l’inflation des prix des denrées alimentaires et du carburant était préoccupante.

Entre-temps, les prix ont encore augmenté: dans de nombreux pays d’Afrique subsaharienne, certains aliments de base coûtent deux, voire trois fois plus cher qu’en 2021. Les prix des carburants se sont également envolés et provoquent comme on le sait une forte pression sur les coûts des produits alimentaires de base.

Prenons le cas du Mali et du Burkina Faso, au Sahel. Les prix de nombreux aliments de base y ont pris l’ascenseur depuis le début de la guerre en Ukraine. Ainsi le maïs, le millet et le sorgho coûtent aujourd’hui deux fois plus cher 1>Prix au kilo: Maïs: au Burkina Faso: 300 FCFA en septembre 2022 contre 150 FCFA en février 2021; au Mali: 300 FCFA en août 2022 contre 200 FCFA en août 2021. Millet: au Mali: 400 FCFA en août 2022 contre 200 FCFA en août 2021; au Burkina Faso: 470 FCFA en août 2022 contre 250 FCFA en août 2021. Sorgho: au Burkina Faso: 450 FCFA en août 2022 contre 240 FCFA en août 2021 (source: Fewsnet, Bulletin mensuel des prix, septembre 2022). que l’an dernier. Or, ces trois produits constituent la base de l’alimentation des personnes touchées par la pauvreté. L’huile a aussi beaucoup renchéri. Mais là n’est qu’une partie du problème.

En effet, si l’alimentation représente en Suisse 13% du revenu des 20% les plus pauvres et environ 6% du revenu de la classe moyenne, les personnes en situation de pauvreté dans les pays d’Afrique subsaharienne doivent y consacrer jusqu’à 80% de leur revenu disponible pour pouvoir survivre.

Ces groupes de population n’ont pas d’économies et ne s’achètent que le strict nécessaire. Quand les prix des denrées alimentaires doublent, ils doivent réduire de moitié leurs achats et leur consommation.

Il devient vite évident que les hausses de prix entraînent d’énormes difficultés de subsistance, une aggravation de la pauvreté et une faim extrême dans la région du Sahel.

Avec la sécheresse qui sévit au Sahel comme en Afrique de l’Est, des millions de personnes sont confrontées actuellement à une question de survie. Rien que dans la Corne de l’Afrique, 22 millions de personnes risquent de mourir de faim.

Le débat actuel met en relief le fait que nous revendiquons et défendons notre prospérité dans le Nord au détriment et à l’encontre des droits des autres. Les conditions de vie dans les pays riches qui jouissent d’un accès illimité aux ressources reposent sur la pauvreté des habitant·es d’autres pays.

On a toujours tendance à considérer comme allant de soi que les habitant·es des pays pauvres doivent se priver et on s’accommode du fait qu’une grande partie de la population mondiale connaisse la faim.

La pauvreté dans le monde s’est fortement aggravée depuis la crise du Covid et l’éclatement de la guerre en Ukraine. C’est un point que nous occultons volontiers quand nous parlons de la crise énergétique ou du problème de l’inflation dans l’hémisphère Nord.

La répartition des biens dans le monde ne serait équitable et la durabilité assurée que si les habitants des deux hémisphères avaient le même accès aux ressources. Il faudrait pour cela que les populations du Sud aient le même droit à l’alimentation que celles du Nord et la même empreinte climatique, dans le respect des capacités de la planète.

Cela impliquerait que nous produisions toutes les denrées alimentaires de manière équitable et écologiquement durable et ce, tout au long de la chaîne d’approvisionnement. Cela aggraverait probablement encore beaucoup l’inflation dans le Nord, ce que personne ne souhaite envisager à l’heure actuelle.

Avant que l’on saisisse l’urgence de mettre en place des solutions durables et équitables, au lieu de les considérer seulement comme un principe éthique, il faudra sans doute attendre que la crise climatique soit directement sous nos yeux et menace nos propres existences. Il faudra que des pays entiers soient submergés par la montée des eaux et que les catastrophes naturelles deviennent notre lot quotidien. Pour beaucoup d’habitant·es de l’hémisphère Sud, c’est déjà une réalité.

Notes[+]

L’autrice est responsable du secteur Coopération internationale de Caritas Suisse.

Opinions Agora Franziska Koller Relations Nord-Sud

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