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Raisonnable et éthique, la taxe aux urgences?

À votre santé!

Après un long chemin parlementaire, et contre l’avis de sa Commission de la sécurité sociale et de la santé publique, le Conseil national a accepté à la fin de sa session d’automne 2022 une initiative déposée par un député vert-libéral en 2017, introduisant une taxe de 50 francs à chaque consultation aux urgences, payée par le ou la patient·e, indépendamment de sa franchise et de sa quote-part aux frais ambulatoires. Heureusement, les enfants de moins de 16 ans, les personnes envoyées aux urgences par un médecin et celles dont le traitement requiert une hospitalisation pourraient être exemptées de la taxe. Comme le Conseil des Etats avait fait de même auparavant, aussi contre l’avis de sa propre commission, le Conseil fédéral doit maintenant mettre cette décision en application. C’est passé un peu inaperçu, masqué par l’augmentation massive – et toujours aussi opaque – des primes d’assurance-maladie.

Et pourtant cette décision, qui prétend résoudre le problème de la surcharge des urgences hospitalières au nom de la responsabilité individuelle si chère à la droite du parlement, risque de fragiliser encore plus certaines catégories de patient·es et augmente la participation directe des ménages aux frais de santé, alors que cette part est déjà l’une des plus importantes en comparaison aux pays de l’OCDE.

Un article paru dans la Revue Médicale Suisse (RMS) en avril dernier montre bien les limites d’une telle mesure.1> K. Morisod, N. Bühler, V.S. Grazioli et al., «Instauration d’une taxe aux urgences: enjeux d’équité en santé, DOI: 10.53738/REVMED.2022.18.776.675 Il ne s’agit pas de nier la surcharge des services d’urgences mais, d’une part, d’en comprendre les raisons et, d’autre part, de savoir comment cette taxe sera applicable, avec le risque que des patient·es repoussent leur prise en charge, aggravant leur situation de santé (ce qui au final risque de coûter plus cher!). Deux études citées dans l’article de la RMS donnent un éclairage intéressant et laissent entrevoir que la taxe n’est peut-être pas la bonne solution.

La première étude a porté sur plus de 30 000 consultations urgentes aux Etats-Unis: seules 6,3% des consultations pouvaient être classées dans la catégorie relevant de la «médecine de premier recours». De plus, les patient·es entrant dans cette dernière catégorie arrivaient aux urgences avec 88,7% de symptômes similaires à celles et ceux dont le diagnostic nécessitait une prise en charge urgente. Autrement dit, il est impossible de définir a priori qui nécessitera ou pas des soins urgents. La deuxième étude s’intéresse aux «usagers fréquents» des urgences: défini·es par leur forte fréquence de consultation annuelle (plus de 4 ou 5 fois par an), ils et elles représentent 4,5 à 8% des patient·es, mais regroupent 21 à 28% des consultations des services d’urgences.

Quand on s’intéresse au profil de ces patient·es, «on constate qu’il s’agit de personnes particulièrement vulnérables, cumulant des diagnostics cliniques complexes et chroniques, des troubles psychologiques et psychiatriques, et un contexte socio-économique précaire (faible niveau d’éducation, faible revenu, conditions de vie difficiles, dépendance ou usage problématique de substances, etc.)», comme le relève l’article précité. Souvent, cette population est mal insérée dans le système sanitaire et n’a pas de médecin traitant. Dans ce sens, les passages aux urgences ne peuvent pas être considérés comme «inappropriés».

Par ailleurs, la surcharge ressentie aux urgences est en partie liée à la surcharge hospitalière générale. Elle est donc structurelle. Comme tout le système travaille à flux tendu (cela a été suffisamment souligné depuis le début de la crise liée au Covid-19 et avec la fatigue du personnel soignant), les patient·es qui nécessitent une hospitalisation restent trop longtemps aux urgences, faute de place dans les différents services (qui reçoivent aussi des patient·es en hospitalisation élective pour des investigations ou des interventions chirurgicales programmées). Peut-être le système de tri aux urgences pourrait-il encore être optimisé et doté d’une filière – avec du personnel dédié – pour les cas relevant de la médecine de premier recours.

Il faut rappeler ici le manque de médecins généralistes, même en ville, et les difficultés d’organisation de la garde médicale. Mais aussi la pression du monde professionnel – réelle ou ressentie – qui incite les gens à consulter en dehors de leurs heures de travail, soit à des moments où la plupart des cabinets médicaux sont fermés.

C’est dire que l’introduction d’une taxe aux urgences est une solution simpliste, idéologique, pénalisante pour l’usager·ère – personne ne va aux urgences pour le plaisir, que je sache! –, source de discrimination et d’iniquité.

Encore un bout de solidarité qui s’en va. Et cela ne diminuera que marginalement la surcharge des urgences, comme le laisse entendre l’article cité, selon une révision de la littérature à ce sujet.

Notes[+]

* Pédiatre FMH et conseiller communal à Aigle.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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