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Dominations brutales

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On mesure mal à quel point des changements de vocabulaire marquent des changements de rapports de forces et de structures sociales. Un des plus significatifs est, dans les entreprises privées puis publiques, «au nom de la modernité (anglo-saxonne)», le passage du service du personnel à celui des ressources humaines. Avant, dans des entreprises humaines, un chef de service, en principe bienveillant, faisait autant remonter les besoins et revendications du personnel – des personnes, pas une ressource! – que descendre les instructions et les souhaits de la direction concernant l’organisation du travail. Les directions des ressources humaines d’aujourd’hui, sauf bienveillance individuelle dans un milieu hostile, ne sont plus que des relais, à sens unique, d’une autorité financière aveugle. Le conflit de la distribution des carburants en France qui, comme tant d’autres sujets, ridiculise le gouvernement Macron, est un exemple-type de l’inhumanité et de l’injustice de ce système. Des revenus exceptionnels, générés par l’exploitation cynique d’une situation de crise aux dépens des citoyens et des citoyennes, sont redistribués aux seuls actionnaires et membres de la direction. Tandis que l’on refuse de maintenir le niveau de vie du personnel salarié en indexant les salaires sur l’inflation: tout pour les uns, rien pour les autres!

Même sorte de glissement sémantique quand les clients deviennent consommateurs. Dans le commerce traditionnel, vendeur et client négocient à égalité un prix, le troc d’un bien contre une somme d’argent fixée, pour établir, à chaque vente, un compromis transparent sur la valeur du bien. Dans la grande distribution, les prix sont imposés, non négociables, tant pour l’entreprise productrice du bien que pour les personnes qui l’achètent au final. Le secteur de la distribution, dont la valeur ajoutée, bien que réelle, est le plus souvent faible par rapport au travail et aux coûts de production, s’arroge le droit de fixer les prix au prétexte grotesque que la «main invisible» du marché – en pratique l’éventuelle compétition des grandes enseignes – les ajusterait au mieux. Les distributeurs rédigent aussi des contrats non négociables, le plus souvent impossibles à lire par leur taille physique et leur jargon juridique. Le consommateur, la consommatrice peut se crever les yeux, il ou elle ne comprendra rien à ce qui a été rédigé dans le but d’entraver son accès à ses droits légitimes sans une aide juridique professionnelle, inaccessible ou hors de prix. Même en cas de rupture de contrat brutale par un vendeur qui n’a pas fourni la prestation payée, un remboursement ou l’exercice de garanties explicites peuvent devenir des courses d’obstacles exaspérantes pour le client qui, souvent, renonce à ses droits.

Les citoyens et les citoyennes sont censés participer aux décisions qui gouvernent la cité. Ce qui suppose qu’ils soient pleinement informés des enjeux et des conséquences des options possibles et qu’ils aient des recours contre les décisions qui leur échappent. Dans la plupart des prétendues démocraties, le pouvoir exécutif décide seul de ce sur quoi le peuple pourra ou devra s’exprimer. Aucun recours autre que la rue ne permet alors de protester contre les décisions importantes prises sans concertation. La Suisse fait figure d’exception avec le droit d’initiative populaire, mais pêche autant que les autres par la concentration des médias et la manipulation de l’information par l’argent privé, local ou international. Une décision récente du Tribunal administratif fédéral montre aussi une inquiétante dérive législative quand il interdit à l’Office fédéral de la sécurité alimentaire de communiquer sur la présence de résidus de pesticides agrochimiques interdits dans l’eau de boisson.2 Une multinationale locale peut ainsi faire taire un service officiel de l’Etat, responsable de la santé des citoyens, sur un sujet concernant leur intégrité corporelle! Au nom, sans doute, du saint secret industriel… Il ne faut donc plus parler de citoyens, mais, comme l’a anticipé un parti hypercapitaliste, souvent raciste, de moutons blancs ou noirs!

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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