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Les quatre fins du monde

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Nous sommes tous partagés entre plusieurs visions du monde. Dans la première, que nous pourrions qualifier, selon l’un des fossiles utiles de la psychanalyse, de «moi-tout», le monde est un milieu personnel nous permettant de satisfaire nos besoins et nos désirs, centré sur notre seule personne. Ce moi-tout décrit assez bien la réalité du nouveau-né, mais se dissout normalement par la confrontation – douloureuse! – à l’altérité et par le développement difficile de l’empathie. Avec l’éducation se développe une réduction progressive du «moi-tout» en «moi-comme les proches», puis en moi comme tous les autres humains, c’est à dire «moi-banal». Et puis la biologie s’en mêle pour nous ramener, dans la biosphère, à «moi-presque rien» – on l’abrégera en «moi-peu». Enfin l’astronomie fait de nous des «moi-rien» dans l’immense univers.

La fin du moi-tout est simple: c’est la fin de l’activité du cerveau qui lui a donné naissance. C’est la première fin du monde et le bon sens explique qu’elle est définitive et sans retour, malgré les inepties religieuses et culturelles qui prétendent le contraire. L’astronomie promet aussi une fin, bien plus lointaine et tout aussi certaine, de tous les moi-rien vivants, par l’extinction prévisible du soleil. Et la biologie, jointe à la climatologie et à l’économie des ressources nécessaires, permet de prédire la disparition, à plutôt court terme, de la plupart des moi-banal humains.

Ces fins du monde étant acquises, il est amusant de voir la cacophonie qu’en ont fait et qu’en font encore les cultures du monde. La fin du moi-tout est, scientifiquement, la plus certaine, rassurante pour certains, terrifiante pour d’autres. «Au moins, après, j’aurai la paix!» pour les uns, angoisse vraiment mortelle pour les autres. D’où les ridicules dénis apportés par les religions… et leurs promesses mensongères de troisièmes mi-temps post mortem pour manipuler les encore-vivants: faites ce que l’on vous dit, ou bien vous aurez à rendre des comptes plus tard! «Mais à qui?» répond le bon sens. «Euh… aux dieux, uniques ou pluriels, bienfaisants ou terrifiants, aux esprits…», bref, à n’importe quoi qui, finalement ressemble à un humain, en mieux ou en pire et surtout plus puissant!

La fin du moi-banal est sans doute celle qui peut le plus faire consensus: on imagine une continuité du monde vraisemblable, où, par anticipation, on agit en faveur de ceux, connus, auxquels on s’identifie. Même si rien n’est garanti, l’observation du passé montre que cette action pourrait être largement bénéficiaire pour eux dans un avenir que l’on ne vivra pas. C’est une satisfaction immédiate: on les imagine mieux plus tard, grâce à nous! Autant pour notre ego…

La fin du moi-peu prend une autre dimension par un fantasme des mondes politiques et culturels: je continuerai à exister au-delà de ma mort par mes traces dans l’histoire, l’art, la littérature, la science, la technique… ou par mon palais idéal, comme le facteur Cheval! Aussi provisoire et illusoire que soit ce projet, il stimule nos créativités, peut-être depuis les premiers humains. C’est la source des développements les plus géniaux et les plus terrifiants de nos cultures. C’est à travers lui que des familles de grands primates africains, descendues des arbres, ont réussi à se multiplier, à conquérir le monde et les paysages les plus différents, à inventer toutes sortes d’outils, puis de machines, à se faciliter la vie et à dominer les autres espèces vivantes. Mais aussi à construire des civilisations et des sociétés concurrentes et guerrières, à créer des monstres politiques avides de pouvoirs et de biens illusoires. Tout porte à croire que la fin des moi-peu viendra de la destruction des humains par ce qui fût le progrès. Bien malin qui imagine ce que sera la vie au-delà de notre extinction! Mais la fin des moi-rien, avec l’extinction du soleil, fera sans aucun doute de la conscience, comme l’écrivait Jacques Ruffié, «un bref éclair… entre deux éternités de nuit»…

* Chroniqueur énervant.

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lundi 8 janvier 2018

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