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Et si l’Afrique renonçait à importer du blé?

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Et si quelque chose de positif pouvait émerger de l’arrêt brutal des exportations de blé ukrainien dont l’Afrique est une importante cliente? C’est ce qu’espère le cinéaste-documentaliste ivoirien Idrissa Diabaté, un peu agacé par les prévisions apocalyptiques d’un continent africain affamé car privé du blé ukrainien. «J’espère que ce sera l’occasion pour nous, en Afrique, de nous demander quelles sont les céréales dont dispose notre continent et que nous pourrions cultiver nous-mêmes, afin de réduire notre dépendance alimentaire», implore-t-il.

Ses recherches documentaires ont fait apparaître que les céréales dont l’humain dispose aujourd’hui ont été domestiquées sur des continents différents. Ainsi, le blé a-t-il été domestiqué pour la première fois en Europe, le riz en Asie, le maïs en Amérique et le mil en Afrique. «Mais le mil (appellation qui désigne aussi le millet et le sorgho) a pratiquement complètement disparu de l’assiette des Africains, au profit du riz et du blé.» Idrissa Diabaté se rappelle pourtant qu’il y a quelques décennies, les gens mangeaient le matin des galettes fabriquées à base de mil en guise de petit déjeuner. Mais la colonisation et la mondialisation sont passées par là et, aujourd’hui, le pain est devenu un aliment de base en Afrique.

«Notre continent est devenu un marché d’exportation très lucratif pour les producteurs de riz et de blé, subventionnés, ainsi que pour les importateurs sur le continent africain, qui disposent de lobbies puissants et n’ont aucun intérêt à ce que l’Afrique produise ce dont elle a besoin pour se nourrir», regrette le cinéaste. Lui qui a consacré deux films documentaires au mil voit pourtant dans cette céréale tout ce qu’elle pourrait apporter à l’Afrique: des valeurs nutritionnelles qui n’ont rien à envier au riz, au maïs ou au blé tout en étant moins gourmand en eau, ainsi qu’une plus grande résistance à la sécheresse et au changement climatique. Mais, en Côte d’Ivoire, la culture du mil a diminué, voire quasiment disparu dans certaines régions au profit du cacao, du café, de l’hévéa, du palmier à huile, et désormais de l’anacarde (noix de cajou) dans le nord du pays. «Aujourd’hui, en Côte d’Ivoire, il n’y pratiquement plus de terre pour produire les aliments de base dont nous, les Ivoiriens, avons besoin pour nous nourrir», déplore-t-il.

Ce sont de telles réalités, constatées partout sur la planète, qui font dire à l’organisation GRAIN, dans son dernier rapport intitulé «De crise alimentaire en crise alimentaire» publié mi-juillet, que «les causes de la crise actuelle sont plus structurelles que la guerre en Ukraine». Et de citer le leader paysan malien Ibrahima Coulibaly qui estime que «l’Afrique n’a pas besoin du blé d’Ukraine», tout en demandant d’arrêter de propager des «fake news». Ce dernier réagissait au fait que la guerre en Ukraine était, selon lui, «utilisée comme un nouveau prétexte pour promouvoir l’impérialisme agricole occidental, qui a détruit les forêts, les terres agricoles et la diversité alimentaire dans les pays du Sud».

C’est qu’en avril dernier, le président français Emmanuel Macron, en collaboration avec l’Union africaine et l’Union européenne, lançait l’initiative «Farm» (Food & Agriculture Resilience Mission), visant notamment à augmenter la production de blé, pour pallier les déficits de blé ukrainien. Mais est-ce vraiment cela dont l’Afrique a besoin? Ou s’agit-il plutôt, comme le recommande l’organisation GRAIN, très pointue sur ces questions, «de remodeler nos systèmes alimentaires»? Le réalisateur Idrissa Diabaté est de cet avis. «Nos régimes alimentaires sont en train d’être changés pour s’adapter aux céréales importées, donc plus on avance, plus on devient dépendant», relève-t-il. Grâce à ses films, il espère convaincre ses compatriotes et le reste du continent que le mil est «la céréale du futur» pour l’Afrique.

Catherine Morand est journaliste.

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lundi 8 janvier 2018

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