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Un projet gouvernemental (1/4)

Carnets paysans

Les lectrices et lecteurs se souviennent peut-être du petit spectacle qui s’était joué sous la coupole fédérale autour du message du Conseil fédéral sur la politique agricole dit PA2022+. Publié en 2020, le message marquait un manque d’ambition en matière agricole1>Lire «Immobilisme progressiste», chronique du 27 février 2020.. Le système agroalimentaire devait, dans l’ensemble, rester dans son état actuel.

En mars 2021, le Conseil national renvoyait ce message au Conseil fédéral2>Lire «Au parlement», chronique du 24 mars 2021. comme le lui suggérait le rapport de sa commission de l’économie et des redevances. C’était Léo Müller qui rapportait alors pour la commission. Müller est un puissant lobbyiste de l’agro-industrie, membre – comme le conseiller fédéral Parmelin – du conseil d’administration du holding coopératif Fenaco, de Sucre Suisse SA et de Suisag, principal revendeur de sperme de porc. Kilian Baumann, député écologiste, suggérait alors que le renvoi du message avait été obtenu dans le cadre d’un accord entre l’Union suisse des paysans et EconomieSuisse, selon lequel l’organisation paysanne renonçait à s’opposer à de futurs traités de libre-échange et l’organisation patronale rejetterait toute exigence environnementale pour l’agriculture. La réalité et l’ampleur de cet accord viennent d’ailleurs d’être confirmées par la Neue Zürcher Zeitung. Le message renvoyé au Conseil fédéral, la Suisse se trouvait dépourvue de planification de sa politique agricole.

Un nouveau rebondissement est intervenu le 22 juin dernier, puisque le Conseil fédéral a rendu public un rapport qui entend donner une orientation à la politique agricole jusqu’en 2050. Réfléchir à la planification agroalimentaire à l’échelle d’une génération est certainement une bonne idée. La durée des documents de planification était jusqu’ici de quatre ans, un délai très court pour un domaine dont l’activité s’inscrit dans le temps long.

Le rapport s’articule autour de sept axes principaux: approvisionnement indigène supérieur à 50 % de la consommation; augmentation de la productivité du travail de 50%; diminution des émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40% par rapport au niveau de 1990; diminution des pertes en fertilisants dans l’eau et l’air3>Lire «Dans le labyrinthe de l’azote», chronique du 14 août 2020.; réduction du gaspillage; alimentation saine de la population; ouverture aux nouvelles technologies.

Dans l’ensemble, ces grands slogans semblent plutôt favorables à une réorientation de l’agriculture vers un système plus durable. Pourtant, le rapport publié le 22 juin est plutôt inquiétant. En dehors de solutions technologiques, il n’offre en effet aucune voie concrète pour sortir du modèle productiviste et réaliser les objectifs énoncés. Il n’apporte aucune vision véritablement politique au sens d’une transformation sociale qui accompagnerait les solutions technologiques. Le deuxième axe qui prévoit une augmentation de la productivité du travail de 50% est significatif à cet égard. L’augmentation incontrôlée de la productivité agricole aux XIXe et XXe siècles a beaucoup servi l’industrie en lui fournissant une main-d’œuvre à bas coût, des denrées alimentaires bon marché et une clientèle pour ses produits chimiques et ses machines. Le passage, en un siècle (1900-2000), de 30% à 4% de la population active occupée à la production agricole a aussi été une évolution dont les conséquences négatives apparaissent aujourd’hui avec clarté (dépendance aux énergies fossiles, dépendance à la chimie de synthèse, centralité des acteurs industriels dans les filières).

Se donner comme vision d’avenir l’augmentation de la productivité du travail – c’est-à-dire la poursuite d’une tendance séculaire – c’est faire preuve d’une incompréhension de la situation présente. D’une manière générale, le rapport rendu public en juin montre à quel point le Conseil fédéral est aveugle aux enjeux sociaux de la question agricole. Je propose d’étayer cette critique en détail dans les trois chroniques à venir.

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