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L’Etat doit respecter la liberté syndicale

Chronique des droits humains

Le jeudi 5 mai, la Cour européenne des droits de l’homme a dit à l’unanimité que la Croatie avait violé la liberté de réunion et d’association, garantie par l’article 11 de la Convention, pour avoir condamné un représentant syndical à une peine de quatre mois d’emprisonnement avec sursis en raison du fait qu’il avait refusé l’adhésion de quinze collègues au syndicat dont il était le représentant.1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 5 mai 2022 dans la cause Goran Vlahov c. Croatie (1ère section).

Au début de l’année 2007, le requérant était le représentant pour la section de Sibenik du syndicat des douaniers croates. Selon ses statuts, ce dernier est un syndicat indépendant et autonome destiné à protéger les droits et les intérêts des douaniers employés par l’administration des douanes. Il ne dispose d’aucun pouvoir public et l’adhésion au syndicat se fait sur une base purement volontaire. Les cotisations des membres constituent sa principale source de revenus et il ne reçoit aucune aide de l’Etat ou d’autres fonds publics. A l’époque des faits, il n’était pas le seul syndicat au sein du bureau des douanes de Sibenik et comptait une trentaine de membres. Entre le 3 janvier et le 16 février 2007, le requérant a refusé les candidatures de quinze employés du bureau des douanes, expliquant agir ainsi conformément à un accord avec d’autres membres visant à ne pas étendre l’adhésion au syndicat et souhaitant empêcher une manœuvre de leur employeur visant à faire entrer un certain nombre de «ses gens» dans le syndicat, modifiant ainsi les structures de direction au sein de celui-ci. Cependant, en désaccord avec cette décision, le président national du syndicat a admis ces candidats comme membres du syndicat et le requérant fut démis de ses fonctions lors d’une assemblée générale à laquelle participèrent les nouveaux adhérents. Deux mois plus tard, le syndicat porta plainte contre le requérant. Le tribunal municipal condamna alors le requérant à quatre mois d’emprisonnement avec sursis pendant un an, décision confirmée par les juridictions supérieures.

La Cour rappelle que le droit de fonder des syndicats et de s’y affilier constitue un aspect de la liberté d’association qui protège également, et avant tout, contre l’action de l’Etat. Celui-ci ne peut s’opposer à la formation de syndicats et à l’adhésion à des syndicats qu’à des conditions restrictives. Le droit de former des syndicats implique le droit des syndicats d’établir leurs propres règles et d’administrer leurs propres affaires. De même qu’un employé doit être libre d’adhérer ou non à un syndicat sans être soumis à des mesures dissuasives, le syndicat doit être libre également de choisir ses membres. Pour que l’Etat soit légitimé à intervenir dans les affaires syndicales internes, l’intervention doit être prévue par la loi et nécessaire dans une société démocratique.2>Cf. arrêt Kemal Demir et Vicdan Baykara c. Turquie du 12 novembre 2008 (Grande Chambre) et arrêt Associated Society of Locomotive Engineers and Firemen c. Royaume-Uni du 27 février 2007 (4ème section).

L’Etat peut certes intervenir pour assurer un traitement équitable et approprié des minorités et éviter tout abus de position dominante, notamment lorsque l’exclusion ou l’expulsion d’un syndicat n’est pas conforme aux règles syndicales, ou lorsque ces règles sont totalement déraisonnables ou arbitraires, ou lorsque les conséquences de l’exclusion ou de l’expulsion entraînent des difficultés exceptionnelles. Mais, en l’occurrence, les tribunaux internes n’ont pas expliqué en quoi ces conditions auraient été réunies, et elles ont même refusé les offres de preuve du requérant qui auraient permis d’éclairer les circonstances dans lesquelles ce dernier avait pris les décisions contestées. En procédant de la sorte, les juridictions croates ont violé les principes consacrés par l’article 11 de la Convention.

En Suisse, la question de la liberté syndicale revient régulièrement sur le devant de la scène, notamment à l’occasion des rapports de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur le respect des conventions internationales en la matière. Nul doute que cet arrêt est de nature à nourrir ces débats.

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Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève et membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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