J’aime le mot «microbe» qui, comme «force» en physique ou «gène» en biologie, est utile car imprécis. Un microbe est un être vivant de petite taille, invisible à l’œil nu. Il en existe de multiples sortes: les micro-algues, les levures et autres micro-champignons, les amibes et, bien sûr, les virus, les bactéries et leurs cousines les archées. Pendant presque deux milliards d’années, les microbes ont été les seuls vivants sur terre. Deux milliards d’années, c’est très long, aurait dit Coluche, surtout à la fin! Après cette étape, les microbes ont continué leur schmilblick deux autres milliards d’années, pendant lesquelles ils ont engendré le reste du monde vivant, en particulier les plantes et les animaux multicellulaires dont nous faisons partie. Dans le domaine du vivant, les microbes ont presque tout inventé.

D’abord la reproduction conforme, qui permet de se multiplier. Puis les mutations, erreurs de reproduction qui diversifient les vivants. Et puis des chimies, qui permettent de produire la matière nécessaire pour se construire et se reproduire. Parmi ces chimies, les bactéries et les archées ont inventé la respiration, qui produit de l’énergie à partir de sucres et d’oxygène, la photosynthèse, qui produit des sucres à partir de gaz carbonique et de lumière, et la fixation de l’azote du sol et de l’air, qui fabrique des acides aminés, matériaux de base des protéines. Ainsi que d’autres chimies, qui permettaient de vivre avant que des micro-algues produisent tout l’oxygène de l’air. De telles chimies sont encore trouvées dans les bactéries qui colonisent les sources chaudes volcaniques du fond des océans et permettent, sans oxygène, une vie luxuriante improbable.

Les microbes ont inventé le sexe et la mort, qui permettent aux populations vivantes de se transformer rapidement et de fabriquer des êtres nouveaux à chaque génération, accélérant la transformation des espèces et l’évolution! Bactéries et archées s’étaient bricolées pour fabriquer des algues, des champignons, des protozoaires… Certaines sont rentrées dans des cellules pour y devenir soit des mitochondries, qui assurent la respiration cellulaire, soit des chloroplastes, qui assurent la photosynthèse des plantes. Chacune de nos milliards de cellules héberge de une à huit cent «mitochondries», des bactéries «symbiotiques» qui, depuis des milliards d’années, se reproduisent en parallèle avec nos ancêtres et échangent leurs gènes avec eux! Au point de nous rendre dépendants: nos mitochondries sont incapables de survivre isolées et nous n’existerions pas sans elles. La dépendance est le prix de cette coopération intime.

Dans les cellules des plantes vertes, de l’algue microscopique au chêne majestueux, en plus des mitochondries, d’autres bactéries, chlorophylliennes, sont incrustées, devenant des «chloroplastes». Quand vous mangez de la salade verte, vous avalez des milliards de bactéries, entre les chloroplastes verts et les mitochondries! Pas besoin de vous rappeler que des bactéries, des levures, des champignons et des milliards d’autres microbes fabriquent nos aliments… ou les digèrent dans nos intestins. D’autres protègent notre peau et nos muqueuses, de la bouche à l’anus et du bout du gland au fond du vagin. Au point qu’il faut les remplacer quand l’abus, parfois nécessaire, de désinfectants ou d’antibiotiques les a décimés, sous peine de maladies graves.

Mes microbes, c’est donc ma vie, de la construction de mon corps à son métabolisme et même à sa pensée, puisque le cerveau est gros consommateur de l’énergie qu’ils produisent. Pas d’action, pas de comportement sans nos millions de milliards de microbes associés, soit à l’intérieur de nos soixante mille milliards de cellules, soit par dizaines de milliers de milliards, sur notre peau ou dans les cavités et interstices de notre corps.

Bien sûr, les microbes commettent quelques bavures, genre peste, choléra ou Covid… Des broutilles à côté de tout ce qu’on leur doit!