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Les pays africains marchent sur des œufs

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Alors que la guerre menée par la Russie en Ukraine s’intensifie, les pays africains font l’objet d’intenses pressions pour qu’ils choisissent leur camp. Un exercice compliqué pour plusieurs d’entre eux, qui entretiennent des relations étroites – historiques, économiques et militaires – avec la Russie. D’où une position parfois qualifiée d’ «ambiguë» par le camp occidental, mais qui reflète l’influence grandissante de la Russie sur le continent africain.

Il semble loin le temps où, lors de résolutions de l’ONU, les pays africains s’alignaient sans état d’âme sur les positions de l’ancienne puissance coloniale. Aujourd’hui, les choses sont plus complexes et les pays du continent sont divisés. Lors du vote sur la résolution de l’ONU du 2 mars dernier exigeant que «la Russie cesse immédiatement de recourir à la force contre l’Ukraine», 24 pays africains sur 54 ont refusé de prendre position – 16 en s’abstenant, 8 en étant absents au moment du vote.

Rien de surprenant à ce que des pays comme le Mali ou la République centrafricaine se soient abstenus lors du vote de l’ONU, ces deux pays francophones s’étant résolument tournés vers la Russie pour un appui militaire dispensé par les très controversés soldats de la milice Wagner, laquelle dépend directement du Kremlin. C’est également le cas de Madagascar, qui entretient avec la Russie une importante coopération dans plusieurs secteurs.

Plus étonnante en revanche est l’abstention du Sénégal, dont le président Macky Sall tente un difficile numéro d’équilibriste en essayant de donner des gages à ses compatriotes gagnés par un discours anti-français et anti-occidental, tout en appelant, au nom de l’Union africaine qu’il préside, au «respect impératif de la souveraineté nationale de l’Ukraine». Le double langage est également de mise en Ouganda, dont le président Yoweri Museveni, pourtant fidèle allié des Etats-Unis en Afrique de l’Est, n’empêche pas son fils, commandant de l’armée de terre, de se déclarer ouvertement prorusse, à l’instar de plusieurs autres responsables politiques du pays.

Quant à l’Afrique du Sud, qui s’est également abstenue de prendre position, sa «loyauté» envers la Russie s’explique aussi par ses liens historiques avec l’ex-URSS, alliée de poids aux côtés de Nelson Mandela dans la lutte contre l’apartheid. Moscou aime d’ailleurs à rappeler son soutien aux mouvements de libération en Afrique australe et à se poser comme un rempart contre le néocolonialisme des pays occidentaux. Un discours qui séduit sur le continent africain, y compris des intellectuels, tel l’écrivain-philosophe ivoirien Tiburce Koffi qui, sur Facebook, écrit que «face à un Occident hyper hégémonique, arraisonneur des pays faibles d’Afrique et arrogant dans sa puissance militaire, Poutine et la Russie s’offrent à nous autres comme une espérance majeure: le rétablissement de l’équilibre du monde».

Les échanges commerciaux entre l’Afrique et Moscou sont en tout cas en plein boom. Un second sommet Russie-Afrique devrait d’ailleurs se tenir à Saint-Pétersbourg en automne 2022, après celui de Sotchi en 2019. En Angola, en Namibie et en Guinée, la Russie est omniprésente dans le secteur minier et désormais principal marchand d’armes sur le continent. Reste que les conséquences du conflit sur les économies africaines se font déjà sentir: dans plusieurs pays, les prix des denrées de première nécessité, dont le blé, ont fortement augmenté. Sachant à quel point les pays africains sont dépendants du blé importé de Russie et d’Ukraine pour confectionner un pain devenu un aliment de base, il faut craindre, à terme, les émeutes qui accompagnent régulièrement la moindre augmentation du prix de la baguette.

Catherine Morand est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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