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Fin des démocraties de basse intensité?

Fin des démocraties de basse intensité?
Ce 25 janvier 2022, la foule manifeste dans les rues de Ouagadougou en soutien au coup d'Etat des militaires au Burkina Faso. KEYSTONE
Afrique de l'Ouest

Cinq coups d’Etat se sont succédé depuis 2020 en Afrique de l’Ouest francophone: Après le Mali (à deux reprises) et le Tchad, c’était au tour de la Guinée-Conakry en septembre, et finalement du Burkina-Faso, pays cher à la coopération suisse, lundi passé. A première vue, la région semble renouer avec une longue tradition putschiste qui a sévit depuis les indépendances (autour de 1960) jusqu’aux «démocratisations» des années 1990, 2000 et 2010. Une succession de dictatures, le plus souvent créées ou soutenues par l’ancienne puissance coloniale, avaient peu à peu cédé la place à des gouvernements issus des urnes dans de nombreux pays du pré-carré français.

Mais démocratie est un grand mot pour qualifier ces Etats qui, s’ils respectent dans certains cas partiellement les libertés civiles, bourrent souvent les urnes, achètent les votes des citoyen·nes, gardent le contrôle sur les campagnes électorales, et détournent les deniers publics à des fins privées plutôt que de servir l’intérêt de la nation. Ces façades, adoubées par la France, ont fini par se craqueler de toute part sous les assauts de groupes terroristes, djihadistes ou rebelles, qui ne sont eux mêmes pour une grande part que des symptômes d’une gabegie généralisée au sein de l’Etat. Ces groupes armés ont pris racine dans des régions délaissées, parfois discriminées par un pouvoir central utilisant les identités ethniques pour asseoir sa domination. Ces «rebelles» se sont aussi paradoxalement nourris d’un mécontentement général des populations, dont les espoirs de sortir de la pauvreté, d’accéder à des services de qualité en matière de santé et d’éducation ont été trahis.

Aussi lorsque ces «démocraties», minées par la mal gouvernance, affaiblies par les programmes néolibéraux internationaux, n’ont même plus réussi à garantir la sécurité de leurs citoyens et de leurs soldats face aux groupuscules rebelles ou djihadistes, elles ont elles-mêmes ouvert la voie au retour de l’armée à la tête de l’Etat, avec l’assentiment des populations locales. Ces évènements – le Mali et le Burkina-Faso en sont les exemples les plus flagrants – marquent la fin d’une époque. Ces Etats s’orientent ils vers de nouveaux régimes autoritaires? Ou les populations saisiront-elles l’opportunité de créer des institutions réellement démocratiques et affranchies de la tutelle de la France? L’ancienne puissance coloniale a pour le moins achevé de se discréditer aux yeux de l’opinion publique africaine en réussissant l’exploit d’engager son armée dans la région tout en permettant aux groupes terroristes de gagner du terrain.

On aurait tort de voir cette histoire comme étrangère à nos réalités européennes. L’Afrique peut au contraire fonctionner comme un miroir grossissant de nos insuffisances. La «crise de la représentativité» démocratique – mise en lumière par des mouvements comme Occupy, Les Indignés, Nuit debout et les Gilets jaunes – sévit également sous nos contrées, même si elle s’exprime différemment. La concentration des richesses réduit la démocratie comme peau de chagrin. Et le péril autoritaire n’est pas si loin…

Opinions Christophe Koessler Afrique de l'Ouest

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