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La grève, un moyen de pression criminalisé

Quatre syndicalistes romands s’expriment à propos de la judiciarisation de l’exercice du droit de grève et du droit de manifestation en Suisse, à la veille de la convocation, lundi au Tribunal d’Yverdon, du secrétaire syndical Laurent Tettamanti et de deux coaccusés pour l’organisation de deux grèves et d’une manifestation en 2018.
Vaud

La grève est une condition essentielle pour l’exercice de la liberté syndicale. A première vue, cet énoncé est unanimement reconnu. Mais les faits tendent à contredire ce consensus. A l’ère du capitalisme triomphant, les droits individuels des patrons et propriétaires ont pris le dessus sur les droits collectifs des travailleurs et des travailleuses. Ce qui a une incidence notoire dans l’exercice du droit de grève et de manifestation. Ainsi, un piquet ou une information syndicale dans une entreprise se transforment en «violation de domicile»; une manifestation publique est réduite à une «entrave à la circulation» et une grève s’assimile désormais à une «contrainte».
Au XXe siècle, la bourgeoisie suisse a limité le droit de grève strictement aux relations de travail. Mais aujourd’hui, ces limitations ne vont pas assez loin pour le patronat. Les conflits sociaux sont criminalisés afin d’ôter au mouvement ouvrier son ultime moyen d’action, même face au dumping salarial et à des violations crasses des conventions collectives de travail (CCT).

C’est dans cette inquiétante perspective que Laurent Tettamanti, secrétaire syndical de l’Association romande des travailleurs·ses (ART), et deux coaccusés sont convoqués le 22 novembre au Tribunal de police à Yverdon-les-Bains, pour l’organisation de deux grèves et d’une manifestation. A la demande des ouvriers d’Electricité 2020, une première grève avait été organisée à fin janvier 2018 afin d’obtenir des rattrapages salariaux. Un accord est trouvé et une convention de paiement est signée. Mais le patron décide finalement de se rétracter. Une seconde grève est alors organisée dans la foulée. L’employeur licencie les grévistes et dépose plainte pour une supposée «contrainte», qu’il retire finalement au début de cette année. Pourtant, le Ministère public vaudois maintient avec zèle ses accusations. A l’en croire, un employeur qui ne respecte pas une CCT ni un accord avec ses employé·es serait protégé du recours à la grève.

Si la justice devait valider cette version dans un nouvel élan réactionnaire, elle liquiderait la grève économique, purement et simplement. Sous prétexte de l’existence de voies de conciliation collectives, inopérantes et favorables aux employeurs dans la majorité des cas, l’Etat rendrait impraticable l’exercice de la grève économique. Une telle décision encouragerait par ailleurs les employeurs à prendre des mesures de représailles contre les grévistes et leurs secrétaires syndicaux. Ainsi, les patrons pourraient se soustraire de leur obligation de respecter la CCT, sans que les ouvriers et les ouvrières ne puissent de leur côté se libérer d’une fausse et hypocrite paix du travail. Rappelons ici que la Suisse ne protège pas correctement les représentants des travailleurs selon les standards de l’Organisation internationale du travail (OIT), pourtant basée à Genève.

Le procureur attaque également une manifestation du Comité d’action des électriciens vaudois. Autorisée, celle-ci a eu lieu en juin 2018 dans le cadre de la négociation pour le renouvellement de la CCT nationale de l’installation électrique. Dans ce deuxième volet du procès, outre le fait qu’il n’a rien à voir avec le premier – ce qui pose question en termes de procédure –, les griefs sont plus absurdes les uns que les autres. Du degré d’inclinaison des haut-parleurs à l’interprétation tatillonne du parcours en passant par le nombre de chasubles portés, le droit de manifestation est exagérément obstrué par les autorités. Sans doute le fait qu’une centaine d’ouvriers électriciens manifestent avec fierté dans le centre-ville de Lausanne n’a pas été du goût des milieux économiques et bourgeois.

Un syndicalisme combatif, dirigé par la base et indépendant du patronat est à l’offensive dans de nombreux secteurs de l’économie, prêt à négocier des conquêtes immédiates pour les travailleurs et les travailleuses sans jamais renoncer aux principes fondateurs du mouvement ouvrier. Cette nouvelle tentative d’intimidation du Ministère public vaudois prouve, si besoin est, que ce syndicalisme là est indispensable pour faire vivre la liberté syndicale.

ESTEBAN MUNOZ, ART – Syndibasa;
FABRICE CHAPERON, Syna;
ARISTIDES PEDRAZA, SUD – Syndibasa;
DAVID ANDERMATTEN, Avenir Syndical – Syndibasa.

Venez soutenir notre camarade Laurent Tettamanti lundi 22 novembre 2021 dès 8h devant le Tribunal d’arrondissement d’Yverdon-les-Bains (rue des Moulins 8).

Opinions Agora Vaud

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