Chroniques

D’une école à l’autre?

À livre ouvert

Ecrire un livre sur l’école n’a jamais été chose aisée. Je repense au pamphlet écrit en 1929 par Denis de Rougemont (Les Méfaits de l’Instruction publique) et à son prolongement (Suite des Méfaits), rédigé près de quarante ans plus tard, dont l’entame se passe de commentaires: «J’ai le triste plaisir de constater que mon texte n’a pas vieilli, parce que l’Ecole n’a pas changé.»1>Denis de Rougemont, Les Méfaits de l’Instruction publique (1929) aggravés d’une Suite des Méfaits (1972), Eureka, Lausanne, 1972, p. 69.

Si écrire sur l’Ecole n’est pas chose aisée, c’est que la plupart du temps cette «écriture» est elle-même nourrie par une insatisfaction foncière. Il faut dire que l’Ecole prête facilement le flanc à la critique, peu importe d’ailleurs quel angle on donne à celle-ci. Sans oublier que cette insatisfaction pousse presque toujours dans la même direction: celle d’une réforme ou refonte importante, sinon totale, de l’institution. Or l’Ecole ne change pas du tout au tout, ou très rarement, et c’est prendre un risque que de le souhaiter, plus encore quand on sait que l’Ecole ne peut être isolée de la société dans laquelle elle s’insère. Tous ceux et toutes celles qui décident de s’engager dans ce type de critiques en sont conscients. Cela ajoute une dimension supplémentaire – et à chaque fois singulière, comme on le verra – à leurs tentatives respectives.

Récemment paru, le livre Vers une école éco-logique2>Daniel Curnier, Vers une école éco-logique, Editions Au bord de l’eau, 2021. de Daniel Curnier s’inscrit dans cet horizon. Voici un ouvrage intéressant. En premier lieu car son élaboration s’inscrit de façon presque synchrone avec le vaste mouvement climatique estudiantin qui a bousculé bien des lignes politiques depuis l’automne 2018. Ensuite parce qu’il n’est pas moins ambitieux que les autres: le changement souhaité a été pensé à l’aune de l’Anthropocène, c’est dire. Enfin parce que sa structure en deux parties – «Aujourd’hui» et «Demain» – le rend à la fois très lisible et très compréhensible, ce qui est une gageure quand on aborde pareil sujet sous les auspices de la théorie de la complexité élaborée par Edgar Morin.

A dire vrai, ce livre assume de belle manière son caractère tant synthétique que panoramique, même s’il n’est pas exempt, ici ou là, de raccourcis ou de simplifications. Pour en venir aux questions de fond, disons que le regard porté sur l’Ecole est sans concession. A la fois «produit» et «moteur» de la modernité, l’Ecole n’est nullement déconnectée des idéologies dominantes et voit sa visée utilitariste être constamment réaffirmée. On ne peut le nier. Il n’est d’école hors-sol ni n’en sera jamais, surtout si le changement souhaité par l’auteur se réalise un jour.

Je disais plus haut que le regard porté sur l’institution scolaire était sans concession. Il me faut être plus précis. A des analyses éclairantes succèdent parfois des passages où le trait paraît trop appuyé. Pour qui fréquente le monde scolaire, il sera ainsi difficile d’adhérer à l’idée que l’école «transmet une vision de l’apprentissage comme étant un processus passif», ou à celle que le «‘métier d’élève’ consiste (…) à ‘apprendre par cœur’ des contenus figés, froids et généralement considérés comme ‘justes’ a priori». Sans nul doute y-a-t-il des écoles, des classes où tel enseignement est donné, mais de là à généraliser il y a un pas qu’on ne saurait franchir sans risque. Idem pour la supposée mise en boîte des différents domaines d’enseignement sous l’égide d’une disciplinarisation à outrance.

Il est d’ailleurs étonnant qu’une école à ce point décriée puisse connaître en son sein, chez les élèves, une prise de conscience aussi aiguisée et informée des enjeux actuels.

On conviendra aisément que l’Ecole n’est pas monolithique. Si elle l’était, les choses seraient d’ailleurs plus simples pour qui voudrait la réformer ou la refonder. Prenons-en acte, et plutôt que d’imaginer une école complètement différente à l’horizon d’une génération, intéressons-nous à ce qui s’y passe ­actuellement.

Parmi les événements les plus étonnants «produits» par l’Ecole, je placerais pour ma part, et sans l’ombre d’une hésitation, les grèves climatiques. Que disent-elles, que présagent-elles du futur de l’Ecole? Nul ne le sait encore. Et pourtant au fond de nous, nous savons qu’elles sont, à côté d’autres événements de cette ampleur, et comme aimait à la rappeler Denis de Rougemont, l’occasion pour l’Ecole de «découvrir ses finalités véritables». Saisirons-nous cette chance?

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Alexandre Chollier est géographe et enseignant.

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lundi 8 janvier 2018

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