Chroniques

Retour à Jérusalem…

Transitions

Au printemps 2002, puis en2007, deux brefs séjours en Israël et en Palestine imprègnent encore fortement ma vision de cette terre. Revenir à Jérusalem, c’est accomplir un pèlerinage mémoriel lourd d’émotions. J’ai aimé cette ville. J’y ai ressenti des vibrations intimes et familières et je m’y suis sentie presque chez moi. Dans le centre historique, à la période de Pâques, on croisait des processions orthodoxes grecques ou arméniennes en plein quartier juif ou au milieu des boutiques palestiniennes. En 2007, cependant, Jérusalem-Est retentissait déjà du fracas des pelles mécaniques démolissant des maisons de Palestiniens. Devant chaque immeuble menacé, Angela Godfrey, une Israélienne juive, et son comité contre les démolitions installaient un campement pour faire obstacle aux bulldozers et aux expulsions. Qu’est-elle devenue aujourd’hui? Combien reste-t-il de familles palestiniennes à Jérusalem-Est? En presque quinze ans, le mirage d’une ville ouverte et tolérante, capitale d’un Etat palestinien, s’effondre dans un silence consternant.

Pourtant, c’est bien la volonté des autorités israéliennes de vider tout un quartier de ses habitants palestiniens qui est à l’origine des récentes salves de roquettes tirées de Gaza, et de la riposte disproportionnée de l’armée israélienne. Mais tout le monde semble faire l’impasse sur cette réalité. Ce sont les «terroristes» du Hamas qui ont commencé, bredouille Joe Biden, Israël a bien le droit de se défendre. On connaît la chanson: 2008, 2012, 2014, c’est au moins la quatrième fois que le scénario se répète: dix jours sanglants, puis un cessez-le feu qui ne fait rien cesser du tout. Le monde politique et les médias rapportent ces affrontements comme s’ils tombaient dans l’anecdotique. En revanche, le bilan que tire Benyamin Netanyahou de ce énième épisode est glaçant. Tous les objectifs militaires ont été atteints, se réjouit-il: 25 hauts responsables du Hamas tués, les infrastructures militaires et civiles détruites, les tunnels effondrés. «Un succès inouï», selon ses propos, rapportés par les médias. Les quelque 280 Palestiniens morts sous les bombes, dont de nombreux enfants, les immeubles d’habitation pulvérisés font-ils partie des succès dont il se félicite ou les considère-t-il comme des dommages collatéraux dont il ne voit même pas la nécessité de faire mention? Pourtant, selon le quotidien israélien Haaretz, au contraire, «c’est l’opération la plus ratée et la plus inutile d’Israël à Gaza»!

Quant aux tractations surréalistes pour former un nouveau gouvernement, elles ont donné l’impression d’un jeu de marionnettes, quand le vicieux Guignol Netanyahou rumine d’ignobles marchandages pour se venger d’avoir été envoyé au diable par un coup de pied au cul de l’affreux Gnafron. Cette coalition hasardeuse de tous sauf lui ne craint pas d’afficher avec arrogance de grands mots, totalement usurpés: union nationale, réconciliation, politique de changement. Le seul changement c’est qu’un millionnaire d’extrême droite, Naftali Bennett, partisan décomplexé de l’annexion de la Cisjordanie, est devenu premier ministre alors qu’il a recueilli moins de 6% des voix aux dernières élections. Un haussement d’épaules pour tout commentaire aurait pu suffire si la situation réelle des Palestiniens, qui n’ont rien à gagner de ces manigances, n’était pas aussi tragique.

Tout se passe comme si la classe politique israélienne échafaudait un fantasmatique théâtre pour y déployer l’épique chanson de geste du Grand Israël. La communauté internationale se demande, elle, ce qu’il adviendra, dans cette configuration, de la question palestinienne. Pour beaucoup d’observateurs, le constat est inexorable: il n’y aura pas d’Etat palestinien, et ils l’affirment sans émotion. Il suffit de regarder la carte de la Cisjordanie pour s’en convaincre: faire un Etat avec ces confettis disséminés entre les colonies de peuplement est tout bonnement irréaliste. Alors quoi? Un seul Etat où Juifs et Arabes cohabiteraient harmonieusement? Ce n’est certainement pas ce que projette le prochain gouvernement, car la communauté internationale ne reconnaîtrait pas un Etat fondé sur une politique d’apartheid. Il est bien plus profitable pour lui de laisser les choses aller comme elles vont et de poursuivre le grignotage progressif des terres et des droits du peuple palestinien. C’est exactement à cette mystification que sert le grand théâtre d’ombres, fait de bric et de broc, qui se construit sous nos yeux. Cette situation est désespérante. Pourtant le scénario pourrait ne plus être le même à l’avenir. Pour la première fois, les Arabes israéliens se sont mobilisés, la jeunesse a «tenu» Jérusalem et l’esplanade des Mosquées contre les forces de l’ordre et l’armée israélienne. Une résistance commune entre Gaza et la Cisjordanie n’est plus une utopie, et peut-être les peuples du monde se réveilleront-ils pour faire cesser l’oppression et l’injustice. Alors, si Dieu me prête vie, je reviendrai à Jérusalem…

* Ancienne conseillère nationale.

Dernière publication: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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