Solidarité

Les germes d’une autre agriculture

Trois photographes ont croisé leurs regards entre Europe et Afrique pour évoquer les enjeux de la réappropriation des semences. Leur exposition itinérante a débuté à Chêne-Bourg (GE).
Les germes d’une autre agriculture
Des oignons à Rheinau en Suisse. ELISA LAVERGO
Exposition

Rondes, allongées, ovales ou biscornues, petites, voire minuscules, les graines sont porteuses de toutes les possibilités du monde végétal. Ainsi les définit Joël Mützenberg, semencier artisanal à Semences de pays. En collaboration avec Les Jardins de Cocagne – Solidarité Nord et Sud (lire ci-dessous), cette association consacre une exposition itinérante constituée de photographies, de témoignages et de textes qui tous abordent l’univers des graines. A découvrir jusqu’au 26 juin aux Serres de Belle-Idée1>Exposition gratuite jusqu’au 26 juin (2, chemin du Petit-Bel-Air, 1225 Chêne-Bourg). Infos: www.expo-semences.ch, à Chêne-Bourg, puis dans d’autres communes du canton2>Du 29 juin au 22 juillet: esplanade de l’écoquartier des Vergers, 1217 Meyrin; du 23 juillet au 19 août: piscine du Lignon, 1219 Aïre-Le Lignon; du 20 août au 6 septembre: place du 150e, 1213 Onex., le projet «Semenciers, semencières – Au Nord et au Sud, un artisanat du vivant» a une vocation politique et poétique plutôt qu’illustrative. L’originalité résidant notamment dans le parti pris des artistes intervenants.

«L’exposition informe autant qu’elle interroge. C’est un appel à se questionner et à s’engager pour la biodiversité et pour des choix visant à une souveraineté alimentaire, soit le droit d’une population à définir sa politique agricole et alimentaire sans nuire à d’autres populations. Il s’agit d’un véritable plaidoyer pour notre rapport à la nourriture», souligne Serge Boulaz, directeur artistique du projet et l’un des photographes, avec Elisa Larvego et Christian Lutz, ayant reçu carte blanche des associations.

Plaidoyer artistique

Le trio s’est rendu à la rencontre de celles et ceux qui œuvrent dans les champs et les serres au quotidien. Tandis que ses collègues pointaient leurs objectifs en Suisse et en France voisine, Serge Boulaz a pour sa part visité le Sénégal, où les Jardins de Cocagne – Solidarité Nord et Sud soutiennent des initiatives paysannes. Il s’y était déjà rendu pour une autre exposition de l’association en 2004. «J’ai pu constater que la majorité des projets fonctionnent aujourd’hui de manière autonome et continuent même après la fin de l’appui financier extérieur», se réjouit-il.

Les germes d’une autre agriculture 1
A Rheinau, Suisse, ou à Doundé, Sénégal, les artisans et les artisanes de la semence ne cultivent ni ne sélectionnent les oignons selon les mêmes critères. SERGE BOULAZ

Au final, les trois photographes genevois proposent chacun une interprétation personnelle et artistique de l’artisanat semencier. Une quarantaine d’images et une dizaine de panneaux explicatifs composent l’exposition, avec des témoignages du Nord et du Sud. «La semence paysanne n’est pas monnayable car elle est considérée comme un être vivant à part entière, un membre de la famille», pose ainsi le paysan sénégalais Lamine. Bien que certains enjeux diffèrent entre les deux hémisphères, les questions centrales dont traitent l’exposition sont identiques, note Joël Mützenberg. «A la sortie de l’école, nous sommes incapables de nous nourrir par nous-mêmes, de nous soigner par nous-mêmes ou de nous construire un toit. Au niveau des semences, cette dépossession est arrivée à un point extrême.»

Alimentation appauvrie

Au XXe siècle, nous avions déjà perdu les trois quarts de la diversité semencière que la Terre et les humains ont mis dix mille ans à générer, regrette Joël Mützenberg. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), seules deux cents plantes sur les six mille cultivées dans l’histoire à des fins alimentaires contribuent aujourd’hui de manière substantielle à garnir nos assiettes. Et seulement neuf d’entre elles représentent les deux tiers de la production agricole totale: la betterave, le blé, la canne à sucre, le maïs, le manioc, le palmier à huile, la pomme de terre, le riz et le soja. «Dès les années 1950, l’agriculture a été profondément transformée pour répondre aux besoins d’une population mondiale en forte augmentation et de plus en plus urbaine. Cet élan productiviste s’est accompagné de mécanisation, d’irrigation massive et de produits phytosanitaires tels les engrais et les pesticides», décrit Joël Mützenberg.

Une restructuration agricole, avec des fermes de plus en plus grandes, a peu à peu contribué à industrialiser le secteur paysan. Les Etats ont accompagné cette métamorphose en émettant des directives de standardisation. Pour pouvoir inscrire son produit, le producteur a dû et doit encore prouver que la variété est stable et uniforme. La diversité paysanne est alors éliminée tandis que sont mises sur le marché des semences à culture unique qui nécessitent des engrais et des pesticides, créant ainsi une dépendance coûteuse et malsaine.

Passer à l’action

A l’instar des Jardins de Cocagne et de Semences de pays, de nombreuses associations et coopératives s’engagent pour une agriculture paysanne forte et un enrichissement de la qualité et de la diversité dans nos assiettes. Dans beaucoup de pays du Sud, la pratique traditionnelle de la sélection et de l’échange reste pour l’instant la norme, mais l’offensive des multinationales semencières est violente, appuie Joël Mützenberg. «Alors qu’une poignée d’entreprises se partage le monopole des semences, imposant un modèle d’agro-industrie dévastateur pour notre santé et la planète, les artisan·nes des semences participent à la construction d’un système alimentaire local et solidaire. Produire collectivement la nourriture que nous voulons est la base de l’autonomie de tout regroupement humain. Mais cette activité ne prend sens que dans une dynamique d’intégration paysanne régionale participant à un mouvement global d’émancipation», conclut-il.

Du maraÎchage genevois AU sÉnÉgal

L’association Les Jardins de Cocagne – Solidarité Nord et Sud a la particularité d’avoir été fondée par une coopérative agricole portant le même nom. Depuis 1984, à travers son organisation sœur, le maraîchage collectif installé dans le sud du canton de Genève accompagne sur le long terme des projets de développement d’organisations paysannes et de communes de la région des trois frontières, à cheval sur le Sénégal, le Mali et la Mauritanie. Il appuie en outre un programme de prévention du VIH/sida et de suivi des personnes infectées. Grâce à la Fédération genevoise de coopération, ses projets bénéficient du soutien des collectivités publiques du canton et de la Confédération.

Parallèlement, l’association mène des activités socio-éducatives en Suisse via des expositions et des interventions dans les écoles. Soulignons que tous les membres de la coopérative maraîchère font également partie de l’organisation Nord-Sud. Un pour cent du prix de la production de la coopérative est ainsi versé pour les projets en Afrique. LHR


Le contenu de cette page est réalisé par la rédaction du Courrier. Il n’engage que sa responsabilité. Dans sa politique d’information, la Fédération genevoise de coopération (FGC) soutient la publication d’articles pluriels à travers des fonds attribués par la Ville de Genève.

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