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Fast-foods, supermarchés, grands hôtels, l’Afrique qui bouge

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

Se limiter aux informations dramatiques liées aux naufrages en Méditerranée, aux massacres des djihadistes, aux élections truquées, au Covid qui n’a pas dit son dernier mot – dans une moindre mesure toutefois que sous d’autres cieux –, c’est passer à côté du formidable boom économique que connaît actuellement le continent africain. Où les grands groupes internationaux tous secteurs confondus se livrent une guerre sans merci pour occuper le terrain et gagner des parts de marché dans la dernière région du monde à n’être pas encore «saturée».

C’est par exemple le cas des grands groupes hôteliers internationaux qui ont, eux aussi, connu de spectaculaires fusions/acquisitions ces dernières années. La marque suisse Mövenpick, rachetée en 2018 par le géant de l’hôtellerie française Accor, vient d’ouvrir un 5 étoiles à Abidjan en pleine pandémie; d’autres sont prévus au Kenya, en Ethiopie, au Sénégal. Selon le directeur d’Accor pour l’Afrique de l’Ouest et centrale, Daniel Karbownik, l’Afrique est considérée par son groupe «comme le continent de l’avenir pour ces prochaines années, le seul terrain encore vierge, qui ne soit pas encore saturé, avec le plus gros potentiel de développement». Dans le viseur d’Accor également, les classes moyennes africaines, qui séjournent volontiers dans un hôtel de luxe pour se détendre en famille.

Mais une fois écartée la menace du coronavirus qui a fait chuter drastiquement les taux de fréquentation, celle du «terrorisme» qui gagne un nombre croissant de pays africains ne va-t-elle pas plomber le tourisme en Afrique? Les professionnels demeurent confiants: avec des attentats pouvant désormais se produire n’importe où, ceux-ci n’ont plus le même impact qu’avant; la peur ne dure pas et les gens reprennent rapidement le chemin de leurs destinations favorites.

Dans tous les secteurs, les appétits des grands groupes internationaux sont aiguisés par l’émergence d’une classe moyenne africaine et ses nouvelles habitudes de consommation. C’est ainsi que les capitales africaines sont désormais quadrillées par des supermarchés et autres malls, qui offrent exactement les mêmes produits qu’ailleurs dans le monde. J’étais hier dans l’une des enseignes Carrefour, qui se multiplient à Abidjan: une foule compacte de consommateurs, en famille, toutes classes sociales confondues, se pressait en cette période de ramadan qui représente toujours un pic en matière de consommation; visiblement heureux de pouvoir faire leurs achats au frais, alors qu’à l’extérieur la température avoisine les 35° C.

C’est également le cas des enseignes de fast-food. Alors que la gastronomie locale est délicieuse, riche, diversifiée, à base de produits souvent de meilleure qualité qu’en Europe, les jeunes se ruent dans les Burger King, Kentucky Fried Chicken (KFC), qui ont poussé comme des champignons à Abidjan et partout ailleurs dans les capitales africaines. Tout à leur bonheur de déguster des hamburgers dont les steaks sont importés, dans les enseignes climatisées ou livrés à domicile via des applications par des jeunes à moto, équipés de gros sacs à dos. Et être ainsi «raccord» avec la jeunesse du monde entier et les séries américaines.

Une jeune startupeuse d’Abidjan, qui a créé sa propre gamme de hamburgers livrés à domicile avec la meilleure viande de bœuf locale achetée directement à l’abattoir, s’est montrée légèrement agacée lorsque je lui ai fait part de ma désolation de voir les jeunes d’Abidjan se détourner de leur garba (couscous de manioc [attiéké] et poisson) traditionnel pour des hamburgers. Elle ne voit absolument pas pourquoi les jeunes de sa ville n’auraient pas droit, eux aussi, de consommer des hamburgers et de fréquenter des fast-foods, comme tous les jeunes du monde, pour une sortie ou un repas entre amis qui sorte de l’ordinaire – et ne remet pas du tout en cause leur attachement pour leurs plats habituels.

Catherine morand est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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