Chroniques

Les enfants de la misère

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire, malgré ses difficultés, apparaît toujours comme un Eldorado, où il est possible de gagner sa vie. Et ce pays continue d’attirer un flux incessant de ressortissant·es des pays voisins, parmi lesquel·les de nombreux enfants. Le mois dernier, un véhicule de transport avec à son bord 42 personnes de nationalité burkinabè, dont 19 enfants, a été intercepté par la gendarmerie ivoirienne, en raison, précisément, du nombre élevé d’enfants qui s’y trouvait. L’enquête a fait ressortir que ces enfants, âgés de 9 à 18 ans, avaient d’abord été dirigés sur une mine d’or artisanale illégale dans la région de Korhogo, dans le nord du pays; mais comme les réserves d’or s’étaient taries et qu’il n’y avait plus de travail pour eux, ils étaient en route pour Aboisso, à quelque 650 km de là, une région où l’orpaillage clandestin est en pleine expansion.

Avec beaucoup d’émotion, j’ai rencontré ces jeunes dans un lieu spécialement aménagé pour des personnes en transit – le centre «Côte d’Ivoire Prospérité», situé à Ndotré, dans la banlieue d’Abidjan – en présence de la ministre ivoirienne de la Femme, de la famille et de l’enfant. Mme Ramata Ly-Bakayoko, très engagée dans la lutte contre la traite des enfants, tenait à s’adresser à eux avant leur rapatriement. «Nous savons que vous avez vécu des moments difficiles; votre avenir est au sein de vos familles et non dans les mines», leur a-t-elle déclaré. «Je ne savais pas ce qui m’attendait ici, je veux rentrer chez moi au Burkina Faso», a confié l’un d’eux en aparté, âgé de 12 ans, le visage caché par un masque anti-Covid.

Les quatre personnes qui les accompagnaient, qualifiées de «trafiquants», ont été arrêtées et placées en détention à la prison d’Aboisso. Ce sont ces mêmes individus, originaires souvent de la même région, qui sont allés chercher les enfants dans leur village pour les emmener sur les sites de mines d’or clandestines, où ils sont appréciés en raison de leur petite taille qui leur permet de se faufiler dans des galeries étroites. «Ces ‘passeurs’ leur font de fausses promesses, et abusent de l’innocence et de l’oisiveté de ces enfants qui travaillent habituellement aux champs, mais sont désœuvrés durant la saison sèche», explique Hortense Barry-Toe, attachée à l’ambassade du Burkina Faso en Côte d’Ivoire.

Selon elle, ces enfants cherchent à venir en aide à leurs parents qui vivent dans une grande précarité. «Mais souvent, les parents ne sont même pas au courant; et les enfants eux-mêmes ignorent tout de ce qui les attend.» Elle les a raccompagnés en car jusqu’à Niangoloko, à la frontière entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso, toujours fermée pour cause de Covid. Une opération qui a donc nécessité des laissez-passer de la part des deux pays, qui collaborent étroitement pour intercepter, encadrer et rapatrier les mineurs qui errent d’une mine à l’autre, d’une plantation à l’autre en Côte d’Ivoire. Les enfants ont ensuite poursuivi leur route jusque dans la capitale, Ouagadougou, avant d’être remis à leur famille.

De tous temps et sous toutes les latitudes, lorsqu’il n’y a rien à manger à la maison, lorsque la misère corsète la famille, les enfants sont contraints d’aller travailler. Ce qui est inacceptable et extrêmement choquant, c’est qu’aujourd’hui encore autant de gens continuent à croupir dans une pauvreté infrahumaine, qui contraint leur progéniture à aller chercher ailleurs de quoi survivre. «Ces enfants qui ont été interceptés, c’est probablement la pointe de l’iceberg. Beaucoup passent entre les mailles du filet», craint Mme Barry. Le 1er avril 2021, l’Union africaine, en collaboration avec l’Organisation internationale du travail (OIT), a lancé l’Année internationale pour l’élimination du travail des enfants en Afrique. Pas sûr que cela permette de mettre un terme à ce flux continu d’enfants perdus, qui sillonnent les routes du continent.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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