Chroniques

A propos de perturbateurs endocriniens

À votre santé!

Il y a quelques semaines, la RTS a fait une très bonne émission sur le sujet. Il est bon de rappeler que le système endocrinien, ou système hormonal, est important pour la santé humaine et animale, car les hormones sont des messagers chimiques de l’organisme qui, à des doses infimes, jouent un rôle essentiel dans le développement, la croissance, la reproduction, le métabolisme, l’immunité et le comportement. Elles sont produites par des glandes spécialisées, appelées glandes endocrines. C’est un système très fin dont le dérèglement peut avoir des conséquences très graves: on connaît bien le «crétinisme» lié à un manque d’iode et à un dysfonctionnement de la glande thyroïde – c’est pourquoi on en rajoute au sel –, le «nanisme» souvent associé à un manque d’hormone de croissance, ou encore les pubertés précoces liées à un trouble de la glande surrénale.

Penser que des substances ou des produits de dégradation issus de l’industrie, de l’agriculture, des produits ménagers, des médicaments et des cosmétiques peuvent perturber ce système biologique à la fois si fin et si délicat devrait donc bel et bien inquiéter le monde scientifique et les décideurs·euses politiques. On a actuellement un faisceau d’indices qui permettent d’estimer que les perturbateurs endocriniens jouent un rôle prépondérant dans les cancers hormonodépendants, en particulier le cancer du sein chez les femmes de moins de 50 ans ou le cancer testiculaire, qui ont tout deux augmenté de manière alarmante depuis trente ans. Mais aussi dans les troubles de la reproduction.

A ce sujet, je rappelle l’article scientifique paru en 2019 sur la qualité de sperme chez les jeunes recrues en Suisse1>Andrology, 2019, 7, 818–826.. Cette étude, menée de manière très rigoureuse, avait montré que la valeur médiane de la qualité du sperme était une des plus basses d’Europe et que seulement 38% des échantillons avaient des valeurs en termes de concentration, de motilité [capacité physiologique à produire des mouvements] et de morphologie correspondant à celles reconnues comme «normales» par l’OMS. Les auteurs concluaient que le risque était grand que le temps d’attente pour une grossesse soit prolongé et que le recours à une procréation assistée soit nécessaire. Les causes de ce phénomène sont probablement diverses. Mais les auteurs ont décidé, comme rapporté dans une publication Swissmedic2>Factsheet Perturbateurs endocriniens – Swissmedic, déc. 2019
(document pdf), accès: bit.ly/3sHUUua
, de poursuivre leur étude et de voir s’il existait un lien entre cette dégradation de la qualité du sperme et la contamination par des perturbateurs endocriniens, entre autres, – étude dont les résultats sont très attendus.

Ce que l’on sait déjà, c’est que les perturbateurs endocriniens sont responsables de modification du sex ratio, des troubles du comportement reproducteur et de la baisse de la fertilité, ainsi que de l’amincissement de la paroi de l’œuf chez les oiseaux et de l’apparition, en aval des stations d’épuration souvent encore incapables de filtrer ces substances, de poissons intersexués (présentant à la fois des caractères sexuels mâles et femelles). Les effets observés ont entraîné dans le monde entier une diminution des populations de différentes espèces animales, comme les loutres, les alligators ou certains oiseaux. On sait aussi que certains perturbateurs endocriniens ont déjà des effets négatifs sur les organismes lorsque leur concentration dans l’eau est inférieure à un nanogramme par litre. Or de si faibles concentrations sont difficilement mises en évidence par les analyses chimiques. Une autre difficulté est liée au fait que l’être humain et l’environnement peuvent, de manière générale, être exposés à un mélange inconnu de perturbateurs endocriniens provenant de différentes sources (dit effets cocktail). Ceci d’autant que, depuis cinquante ans, on en retrouve un peu partout. C’est d’ailleurs ce que révèle l’émission de la RTS, en démontrant que toutes les urines d’enfants analysées en contenaient.

L’importance de la science pour mieux comprendre le phénomène et mieux cerner quelles substances sont les plus dangereuses est essentielle. Mais un principe de précaution ne devrait-il pas prévaloir? Partant, ne devrait-on pas interdire les substances potentiellement nocives jusqu’à ce qu’en soit déterminé le seuil «tolérable», plutôt que les autoriser en attendant de déterminer ledit seuil?

En attendant, peut-être vous rappellerez-vous de cette chronique lorsque, en juin, vous irez voter sur les initiatives «Pour une eau potable propre et une alimentation saine» et «Pour une Suisse libre de pesticides de synthèse».

Notes[+]

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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