Chroniques

Menace nucléaire sans fin

À livre ouvert

L’année 2021 marquera-t-elle un tournant décisif en matière de menace nucléaire? Pour le pire ou pour le meilleur? Difficile de répondre tant, depuis deux mois, la succession d’événements impressionne et désoriente à la fois. Reprenons rapidement le fil de ceux-ci.

Mercredi 6 janvier, assaut «en direct» du Capitole, suivi d’un déluge de commentaires. Une information retient pourtant l’attention, celle rapportée le 12 février par The Guardian: le vice-président Mike Pence, que l’on savait sur place le jour de l’assaut, s’est retrouvé sans le savoir à quelques pas des agitateurs. A côté de lui, un officier de l’US Air force portant la «football», petit nom donné à la valise contenant la liste des cibles ainsi que les codes de lancement de l’arsenal nucléaire étatsunien.

Vendredi 22 janvier, le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires entre en vigueur. Désormais la mise au point ainsi que la production, la fabrication ou l’acquisition, tout comme la possession ou le stockage d’«armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires» sont interdits aux Etats parties. En 2017, ils sont près de 120 à avoir adopté ce traité lors d’une conférence des Nations unies et 54 à l’avoir ratifié à ce jour. Inutile de dire qu’aucun des quatorze Etats possédant ou stockant l’arme nucléaire sur son sol n’en fait partie, ni la Suisse d’ailleurs.

Mercredi 27 janvier, l’aiguille de l’«horloge de l’Apocalypse» (Doomsday Clock) demeure fixée à 100 secondes avant minuit. L’élection de Joe Biden n’a pas suffi à rassurer le comité scientifique et de sécurité du Bulletin of the Atomic Scientists, lequel depuis 1947 s’applique à indiquer l’état de vulnérabilité du monde face aux catastrophes pouvant être causées par les armes nucléaires, mais aussi depuis 2007, par le réchauffement climatique et les technologies disruptives en tous genres. Jamais depuis sa création le danger n’a été plus élevé.

Dimanche 21 février, un accord a minima entre l’Agence internationale de l’énergie atomique et l’Iran offre un ballon d’oxygène aux négociations visant à remettre en selle l’accord sur le nucléaire iranien, signé en 2015 mais mis à mal par le retrait unilatéral des Etats-Unis en 2018.

Le seul point réellement positif à tout ceci, c’est que le danger n’est plus invisible du tout1>«Le véritable danger aujourd’hui consiste dans l’invisibilité du danger» (G. Anders, La menace nucléaire, Le Serpent à plumes, 2006).. Nul besoin de chercher à connaître le nombre d’ogives nucléaires opérationnelles ou prêtes à être utilisées ni de savoir où elles se trouvent2>Ph. Rivière, «Où sont les bombes atomiques», Visionscarto.net, 16 décembre 2020., ou encore de se retourner sur la volonté de moderniser un arsenal déjà surdimensionné. L’actualité nous tient à elle seule en haleine et le sujet ne suscite plus l’indifférence. Mais pour combien de temps?

Dans ce contexte, le livre de Noam Chomsky, Danger d’extinction3>N. Chomsky, Danger d’extinction – changements climatiques et menace nucléaire, éd. Ecosociété, 2020., tombe à pic. Non qu’il réponde à toutes nos questions – la conférence donnée à la mi-octobre 2016 à Boston, qui constitue le cœur du livre, demeure un écrin trop restreint pour un tel objectif. Disons plutôt qu’il permet de saisir la manière dont le thème de la menace nucléaire échappe à toute clôture.

Depuis ce fatal 6 août 1945, la menace nucléaire paraît en effet sans fin. Pour nous conforter dans cette vue, il n’y a qu’à rappeler avec Chomsky les «incohérences» répétées de la stratégie étatsunienne, comme lorsque trois Etats ayant refusé de signer le Traité de non-prolifération des armes nucléaires – l’Inde, le Pakistan et Israël – vont bénéficier chacun à leur tour du soutien de Washington pour mettre au point leur programme nucléaire. Ou encore lorsqu’au milieu des années 1970, Henry Kissinger, Dick Cheney et Donald Rumsfeld pressent les universitaires du MIT de contribuer au programme nucléaire iranien.

Toutefois Chomsky n’évacue pas tout espoir de trouver un frein à la menace. Aussi évoque-t-il le Traité de l’ONU sur l’interdiction des armes nucléares – dont il prédit pourtant qu’il sombrera dans l’oubli en l’absence d’un appui massif du public – mais aussi, beaucoup moins connu cette fois, le projet d’un Moyen-Orient exempt d’armes nucléaires – projet qui suscite l’ire des Etats-Unis et d’Israël mais qui a le soutien de l’Iran et de la plupart des pays arabes.

Pour cela nous lui sommes gré. Gré de nous rappeler que si la menace nucléaire est sans fin, elle n’est pas sans frein.

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Notre chroniqueur est géographe et enseignant.

Opinions Chroniques Alexandre Chollier

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lundi 8 janvier 2018

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