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«Les choses qu’on dit…», une parodie de film d’auteur?

«Les choses qu’on dit…», une parodie de film d’auteur?
Les écrans au prisme du genre

Le film arrive en tête des nominations dans la course aux Césars. Les choses qu’on dit, les choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret est sans doute le plus désengagé et le plus «chic» des films français de l’année…

Daphné (Camélia Jordana), enceinte de trois mois, vit avec François (Vincent Macaigne) qui a dû aller à Paris quelques jours pour le boulot. Ils habitent une maison – merveilleuse – dans la campagne méditerranéenne où elle accueille Maxime (Niels Schneider), le cousin de François, qui sort d’une histoire sentimentale compliquée. Tout en lui faisant visiter la région, elle l’encourage aux confidences. Suit un premier flashback sur la rencontre purement sexuelle de Maxime avec Victoire (Julia Piaton), qui lui présente sa sœur Sandra (Jenna Thiam) dont il a été amoureux autrefois. Il est accompagné de son meilleur ami Gaspard (Guillaume Gouix), qui entame illico une relation avec Sandra. Ils proposent à Maxime de venir habiter avec eux dans l’appartement – grand siècle – que leur a laissé la tante décédée de Sandra.

L’histoire de Maxime s’interrompt pour revenir au présent où Daphné, après quelques commentaires profonds du genre «il ne faut confondre le plaisir et l’amour», propose à Maxime de lui raconter comment elle a rencontré François: c’est reparti pour un flashback sur Daphné, qui monte un documentaire sur un philosophe, mauvais clone de Derrida (Emmanuel Mouret n’a sans doute pas obtenu le droit d’utiliser le vrai), qui plaide pour l’amour désintéressé et le pardon; Daphné regarde d’un air énamouré le réalisateur (Louis-Do de Lencquesaing) qui la félicite pour son travail. Mais manque de chance, quand il l’invite enfin à dîner, ce n’est pas pour lui avouer sa flamme, mais pour lui annoncer qu’il aimerait qu’elle monte son prochain film et qu’il est en train de tomber amoureux de l’amie archiviste qu’il lui a recommandée… Sous le coup de la déception, elle manque s’évanouir, mais rencontre dans la rue un homme (François) qui lui propose de prendre un verre, etc., etc.

Je passe sur les péripéties qui suivent, mais le clou du film est quand même autour du personnage incarné par Emilie Dequenne, Louise, la femme de François qu’il va quitter pour Daphné (Camélia Jordana a 11 ans de moins qu’Emilie Dequenne, et 15 ans de moins que Vincent Macaigne: tout est normal). Quand Louise découvre que son mari la trompe, et après des tentatives vaines pour le reconquérir, elle décide d’inventer un subterfuge pour qu’il ne sente pas coupable de la quitter: elle va donc lui faire croire qu’elle le quitte parce qu’elle a rencontré quelqu’un d’autre; et même l’inviter quelques mois plus tard avec sa nouvelle compagne pour lui faire rencontrer son nouveau compagnon – elle a loué les services de Stéphane/Jean-Baptiste Anoumon pour l’occasion: peut-on rêver plus belle preuve d’amour! Quand François découvre le subterfuge, il est tellement ému par l’abnégation de son ex-femme qu’il recouche avec elle! Et ça continue comme ça pendant plus de deux heures.

Dans le monde fantasmatique d’Emmanuel Mouret, on a de graves problèmes: suis-je amoureux·se ou est-ce seulement une histoire de désir physique? Comment savoir? Moi qui n’aime pas Rohmer (pour de très bonnes raisons féministes), je me disais qu’au moins les histoires que racontaient Rohmer se passaient en général dans des «vrais» milieux petit-bourgeois! Ici on a Rohmer pour les dialogues littéraires et les relations hommes-femmes à tiroirs et maisons et jardins et monuments historiques et culture d’élite et aucun problème de fric ni de travail: un rêve tellement distingué!

Le film se veut dans la continuité du précédent du même auteur, Mademoiselle de Joncquières, qui adaptait un épisode de Jacques le fataliste de Diderot. Mais la référence à la littérature du XVIIIe siècle, très sensible aux rapports de classe, est tout à fait abusive ici. On ne sait pas s’il faut se réjouir pour Camélia Jordana d’être sortie des rôles racisés dans des films grand public (Le Brio) pour accéder au «cinéma d’auteur» blanc de blanc… (ah non, pardon, j’oubliais Jean-Baptiste Anoumon, celui qui joue le faux compagnon (noir) de Louise, mais, justement, lui n’est pas un vrai protagoniste!)

En effet, ici les vrais personnages passent leur temps à se raconter leurs histoires d’amour, ce qui leur donne envie de coucher ensemble, et comme ils ont des métiers aussi chics (monteuse, traducteur, architecte) que peu prenants, ils trouvent le temps pour le faire… Tandis que leurs épouses s’effacent discrètement quand ils tombent amoureux d’un jeune tendron: c’est vraiment Noël!

Les mauvaises langues disent que le cinéma d’auteur français, c’est trois personnages dans un deux-pièces cuisine: Emmanuel Mouret a réussi à trouver le financement pour passer au niveau supérieur: on a huit personnages dans des décors Maison & jardin: belle promotion!

Notre chroniqueuse est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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mercredi 27 novembre 2019

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