Chroniques

Tonton, c’est quoi un débat à la con?

L'Impoligraphe

«Tonton, tu l’as suivi à la télé, l’autre jour, le débat Infrarouge sur l’interdiction de la burqa?
– Je m’en suis bien gardé. Et si j’en juge les échos, j’ai eu raison: ça m’a tout l’air d’avoir été un débat au niveau de celui qu’on subit depuis des semaines sur le sujet…
– Ouais, celui dont t’as dit que c’était un «débat à la con». C’est quoi, un «débat à la con»?
– Un débat dont les termes sont si foireux que tu peux pas débattre, juste prendre une posture…
– C’est pas trop te demander que me dire pourquoi?
– Fastoche: quoi que tu dises, on te renverra au statut navrant d’être l’idiot utile d’un camp de blaireaux: les xénophobes si tu invites à voter pour l’initiative, les islamistes si tu invites à voter contre… Choisir entre être l’idiot utile de Jean-Luc Addor ou celui de Hani Ramadan, tu parles d’un dilemme. D’accord, idiot, il m’arrive forcément de l’être, comme tout le monde, mais j’essaie au moins de l’être inutilement. Et quand j’essaie d’être utile, j’essaie au moins de pas être idiot.
– On peut pas s’extirper de ce piège à cons?
– En appelant à l’abstention ou à voter blanc ou nul… En se disant que, de toute façon, inscrire une ânerie dans la Constitution, ça ne la fait pas être autre chose qu’une ânerie. Après tout, notre Constitution commence bien (comme la constitution iranienne…) par «Au nom de Dieu», et ça le fait pas exister, Dieu…
– Alors pourquoi t’appelle pas à voter blanc ou nul?
– Parce que l’abstention est par définition insignifiante, même quand elle est massive, que le vote blanc ne dit rien de plus que renvoyer le «non» et le «oui» dos à dos, qu’on n’en tient pas compte dans le résultat, et que le vote nul ne l’est pas moins que le débat en cours, genre «votez nul, vous n’avez pas le choix».
– Du coup, tu votes quoi, toi?
– J’ai voté «non».
– Donc t’as choisi ton camp de blaireaux, t’es un idiot utile des islamistes…
– Mektoub!
– Et tu votes non pourquoi?
– D’abord parce qu’inscrire une norme vestimentaire dans la charte fondamentale d’un Etat, c’est complètement con. C’est quoi, la prochaine étape? l’inscription dans la Constitution fédérale d’une norme gastronomique – interdire les nourritures hallal et kasher? d’une norme capillaire – interdire les barbes? Quelque chose me dit qu’il va falloir se préparer à «mettre indéfiniment tous les fantasmes de l’UDC dans la Constitution», comme le craint Ada Marra…
Ensuite parce qu’obliger les femmes à se voiler ou à se dévoiler, c’est toujours leur dire ce à quoi elles doivent ressembler, comme si elles étaient incapables d’en décider. S’il leur suffisait de se dévoiler pour être libres, on aurait un peu de peine à expliquer un siècle de combats féministes contre tout ce qui les rendait serves dans des pays où elles ne se voilaient pas la face…
Enfin, ce machin s’inscrit quand même dans un magma de réflexes qui ressemblent à ceux qui avaient produit l’une des premières initiatives populaires de la Suisse moderne, qui interdisait l’abattage rituel juif des animaux. A l’époque, on batifolait dans le vieil antisémitisme judéophobe, on a juste changé la cible et remplacé le judaïsme par l’islam.
– Tu ferais pas un peu dans l’amalgame, là?
– Moi? non. Eux, oui: prends les textes antisémites du début du siècle, genre Drumont, ou ceux des années trente, genre Oltramare, remplace les références aux juifs par des références aux musulmans du genre de celles qu’on trouve dans plein de sites d’extrême droite, et t’es plein pot dans le cadre.
– Et l’extrémisme religieux, alors, t’en as rien à cirer?
– Tu crois vraiment qu’on combat l’extrémisme religieux par une norme vestimentaire? La burqa est interdite en France, tu y as vu reculer l’extrémisme religieux? La burqa, pour ceux qui veulent l’interdire, c’est un prétexte, une sorte de reconquête des lieux saints à petit budget et sans risque. Moi, j’en ai rien à secouer des lieux saints et de la défense de l’Occident chrétien. Et je peux sans remord laisser quelques barbus se prendre pour Saladin et quelques beaufs pour Godefroy de Bouillon.
– Alors y’a rien à sauver, dans l’initiative?
– Si, quand même, deux choses. D’abord, hosannah! l’UDC et ses sous-marins se sont convertis à la défense des droits des femmes. C’est nouveau, miraculeux même, mais ça leur passera sitôt le vote passé. D’autant que s’il est leur faveur, il n’aura aucun effet positif sur les droits et la situation des femmes en Suisse. D’ailleurs, Yves Nidegger ne plaide déjà plus au nom de la liberté des femmes dont son parti n’a jamais rien eu à cirer, mais en présentant l’initiative comme un moyen de lutter contre les hooligans encagoulés.
Secundo, l’initiative prévoit de renforcer les sanctions contre ceux (parfois celles) qui imposent à d’autres le port d’un voile du visage. Mais punir les coupables d’une contrainte, le contre-projet du parlement le prévoit aussi et il n’a pas besoin d’une loi d’application pour être appliqué. Seulement voilà: il inclut des dispositions en faveur de l’égalité des sexes et de l’intégration des jeunes étranger·e·s. Inacceptable pour les udécistes et leurs copains.
– T’es quand même conscient qu’ils vont certainement la gagner, cette votation?
– Ouais, et alors? Tant que je ne suis pas obligé de raser ma barbe sous prétexte que c’est un signe islamiste…

Notre chroniqueur est conseiller municipal carrément socialiste en Ville de Genève.

Opinions Chroniques Pascal Holenweg

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lundi 8 janvier 2018

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