Suisse

Morts en série à l’EMS

Plus de la moitié des Suisses décédés du coronavirus étaient des résidents d’une maison de retraite.
Morts en série à l’EMS
Nombre d’aînés hésitent à postuler pour obtenir une place dans un home. KEYSTONE-ARCHIVES
Pandémie

Vendredi, les établissements médico-sociaux (EMS) valaisans approchaient les 2000 résidents vaccinés, sur une population d’un peu plus de 3000 personnes. Immunisés, plus de 600 pensionnaires testés positifs ces derniers mois attendront. Directeur de l’Association valaisanne des EMS, Arnaud Schaller analyse: «Comme tout le monde, nous n’étions pas préparés à pareille crise au printemps et nous avons été meilleurs durant l’automne, mais ça a été une année très compliquée.»

Les institutions pour personnes âgées ont beaucoup souffert durant la seconde vague. A Loèche, dans le Haut-Valais, 19 des 26 résidents sont positifs, et 5 sont décédés ces derniers jours. Dans le canton, depuis septembre, plus de 240 résidents ont perdu la vie à la suite d’une infection et 968 des 4600 collaborateurs ont été contaminés. Pour Arnaud Schaller, «nous avons dû engager des moyens très importants pour trouver du personnel temporaire ou échanger des soignants entre les institutions».

Plus de la moitié des décès

Un peu partout, les exemples se multiplient. Dans le canton de Thurgovie, un EMS communique 34 résidents positifs sur 48, et 5 morts ces derniers jours. Les données de l’Office fédéral de la santé publique montrent que 2827 personnes sont décédées du virus dans les EMS depuis début octobre, soit 49,2% du total. Mais ce chiffre oublie les résidents transférés à l’hôpital et qui n’ont pas survécu. Par ailleurs, près de 10% des déclarations ne mentionnent pas le lieu du décès. Selon l’Aargauer Zeitung, 80% des personnes qui ont perdu la vie dans le canton de Soleure vivaient dans une institution.

En moyenne, près de 90% des résidents refusent une hospitalisation. Ainsi, dans le canton de Neuchâtel, 139 résidents ont perdu la vie dans leur maison de retraite depuis le mois d’août, alors que 16 sont décédés à l’hôpital. Secrétaire générale de l’Association cantonale des établissements pour personnes âgées, Fabienne Wyss Kubler soupire: «Aujourd’hui, la vie des EMS est lourde, pour les résidents et pour les soignants.» Les institutions ont réduit leurs prestations, surtout dans le domaine de l’animation: «Quand le virus entre dans la communauté, la situation devient rapidement explosive.»

Dépistages insuffisants

Les statistiques du Service neuchâtelois de la santé montrent que 297 collaborateurs et 700 résidents ont été infectés depuis la fin août. Un EMS a dû remplacer 60% de son personnel. Un peu partout, les institutions ont souffert des absences dues aux quarantaines durant la seconde vague. Pour Fabienne Wyss Kubler, «il y avait moins de disponibilité qu’au printemps, et nous avons passé l’automne à chercher du personnel, en recourant même aux réseaux sociaux pour trouver de l’aide».

Depuis le mois de septembre, les soignants sont testés plus systématiquement, et des cas asymptomatiques apparaissent régulièrement, qui entraînent des quarantaines. Le phénomène semble expliquer partiellement la propagation du virus dans certains établissements. Fabienne Wyss Kubler analyse: «Il aurait fallu tester davantage durant la première vague, mais c’est facile de critiquer aujourd’hui. Les décisions ont été prises en fonction des connaissances et des moyens à disposition à ce moment-là.»

«Nous avons insisté auprès de l’OFSP pour que le champ d’application des tests soit étendu aux soignants à une époque où les tests étaient encore rares.»
Daniel Höchli

Directeur de l’Association nationale des institutions pour personnes âgées, Daniel Höchli soutient les dépistages systématiques. «Nous avons insisté auprès de l’OFSP pour que le champ d’application des tests soit étendu aux soignants à une époque où les tests étaient encore rares.» Une lettre aux cantons montre que l’office fédéral souhaite recommander le dépistage en série du personnel soignant. Ce vendredi, la commission de la santé publique du Conseil national a recommandé au gouvernement de «financer un test facultatif par semaine pour toutes les personnes se trouvant dans un établissement médico-social».

Vers une crise financière

Les maisons de retraite comptent sur le vaccin pour redevenir des lieux de vie. A Neuchâtel, le plan prévoit que tous les résidents qui le souhaitent soient vaccinés d’ici à la fin avril. A Fribourg, qui compte 168 résidents décédés du coronavirus depuis juillet, les travaux devraient être achevés à la fin mars. Claude Bertelletto Küng, secrétaire générale de l’Association fribourgeoise des institutions pour personnes âgées, explique: «Nous vaccinons simultanément les résidents et les soignants.»

Les institutions souffrent aussi financièrement. La crise a engendré des charges importantes qui n’avaient pas été budgétisées. Les décès ont laissé de nombreux lits vides. Parmi les gens qui ont perdu la vie chez eux, beaucoup étaient âgés et placés sur les listes d’attente des EMS. Avec la pandémie, leur attractivité a baissé. Les personnes âgées hésitent à postuler, parce qu’elles craignent pour leur santé ou parce qu’elles redoutent des restrictions.

Des millions de pertes

Pour le Valaisan Arnaud Schaller, «aujourd’hui, nous perdons plus de deux millions de francs par mois, et après avoir beaucoup engagé, nous parlons de licenciements». En attendant la position des autorités sur d’éventuelles indemnisations, Fabienne Wyss Kubler anticipe une possible accélération du phénomène de fusion des établissements. Elle sourit: «J’espère que les gens s’intéresseront encore aux institutions pour personnes âgées quand la crise sera terminée.»

Trois questions à Didier Pittet

Didier Pitter, infectiologue

Bien plus de la moitié des Suisses décédés du virus étaient résidents d’un établissement médico-social (EMS). Est-ce logique?

C’est le cas dans d’autres pays aussi et ce n’est pas une surprise. Même en temps normal, on s’attend à ce qu’il y ait des décès dans les EMS. L’espérance de vie y est souvent de moins de deux ans. Le système immunitaire des résidents est faible et le Covid-19 précipite les décès. Il y a une surmortalité évidente dans les EMS. Le problème, c’est que des épidémies se sont déclarées à l’intérieur des institutions.

Il aurait donc fallu prendre des mesures particulières?

Oui! Le virus entre dans les EMS par des gens, visiteurs ou collaborateurs. Il s’agit d’abord d’éviter son introduction, puis de limiter sa transmission. Mais le personnel est parfois sous-qualifié. Ce niveau de formation est suffisant habituellement, mais il pose problème lorsque la prévention du risque infectieux devient essentielle. Au début de la 1re vague, quand le matériel manquait, c’était surtout dans ce genre d’institution. Il n’y avait pas assez de masques et pas assez de tests. Le plan idéal comprendrait un dépistage systématique du personnel, non seulement au moindre symptôme, mais au moins une fois par semaine, voire plus souvent. Nous avons constaté que ce n’était de loin pas le cas partout. C’est triste, mais c’est la réalité.

Vous dites que nous n’avons pas assez testé le personnel des EMS?

Absolument. A un moment, les visites ont été interdites et l’on s’étonnait qu’il y avait quand même des épidémies dans certains établissements. Comme tout le monde, les soignants peuvent être infectés dans leurs activités sociales, tout en étant asymptomatiques. XL

Suisse Xavier Lambiel Pandémie

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