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Le parti rouge

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Dans quelques jours, interviendra le centenaire du Parti communiste français. De fait, le 30 décembre 1920, dans la salle du Manège de Tours, le XVIIIe Congrès du Parti socialiste décidait à une large majorité (70% des mandats) d’adhérer à la jeune IIIe Internationale ou Komintern. Naissait alors la section française l’Internationale communiste.

Au vu du modeste poids électoral dudit parti aujourd’hui, cette commémoration paraîtra anecdotique à certain-e-s, inspirée par un fétichisme calendaire ou – plus coupable – par une nostalgie douteuse. Ce serait omettre l’importance des conquêtes auxquelles cette formation politique contribua en 1936, 1945, 1968 et 1981; omettre aussi l’acculturation et la politisation des classes populaires à laquelle elle contribua. Mais nous voulons croire, surtout, que certaines questions discutées à Tours se posent toujours à nous.

Dans leur récent ouvrage Le Parti rouge, Une histoire du PCF 1920-2020 (Armand Colin, 2020), Roger Martelli, Jean Vigreux et Serge Wolikow se demandent si le PCF est le produit d’une greffe du bolchévisme en France (comme le prétendait l’historienne Annie Kriegel), d’une «nécessité interne» du mouvement ouvrier ou d’une conjoncture liée à la guerre. Ils concluent que ces trois facteurs ont dû jouer.

Avant 1914, le mouvement ouvrier connaît des tensions, notamment entre ses composantes syndicales et politiques, entre partisans du centralisme et partisans d’une autonomie laissée aux militants locaux, partisans du parlementarisme, du réformisme et tenants de la révolution. Avec la Grande Guerre, la SFIO [Section française de l’Internationale ouvrière] voit ces divergences se réordonner autour de trois fractions: 1) Les zimmerwaldiens ou kienthaliens (Cf. notre chronique du 4.09.2015), emmenés par le syndicaliste révolutionnaire Fernand Loriot, réunissant des militant-e-s opposés à la guerre et favorables à un internationalisme effectif ainsi qu’à la reprise de la lutte de classe; 2) Les longuettistes emmenés par le jaurésien Jean Longuet, lequel dénonce les excès de l’Union sacrée, plaide pour l’ouverture de négociations de paix mais vote les crédits de guerre; 3) La direction du parti regroupant les «majoritaires de guerre», favorables à l’Union sacrée au nom de la défense de la République – tendance notamment emmenée par Pierre Renaudel, aussi jaurésien. Ces courants sont largement composites: plus ou moins favorables à une révolution par en bas dans le premier courant; plus ou moins favorables à la participation ministérielle dans la deuxième et, troisième tendance, à une entrée circonstancielle ou non dans la gouvernementalité républicaine.

La prolongation de la guerre, l’intensification des luttes sociales, les grèves massives et les nombreuses tentatives révolutionnaires en Europe contribuent à modifier les rapports de force internes à la SFIO. La révolution d’Octobre 1917 et la création en mars 1919 à Moscou d’une nouvelle Internationale incitent définitivement la gauche française à la clarification. Lénine exhorte en effet les révolutionnaires de tous les pays à abandonner le mot «socialiste» – trop associé aux «majoritaires de guerre» – et à se saisir de l’étiquette «communiste» vantée un demi-siècle plus tôt par Marx et Engels.

A Tours, la résolution victorieuse – rédigée par Fernand Loriot, Boris Souvarine, fils d’émigré russe, et Amédée Catonné (dit Dunois), ancien anarchiste devenu collaborateur de Jaurès, et présentée par le Comité de la IIIe Internationale et par la fraction socialiste regroupée autour de Marcel Cachin et de Louis-Oscar Frossard – propose de rejoindre les rangs de la IIIe Internationale mais également de se rallier au modèle bolchevique de révolution.

Or, comme le souligne Julien Chuzeville dans Un court moment révolutionnaire. La création du parti communiste en France 1915-1924 (Libertalia, 2017), les conditions d’adhésion à l’Association fondée par les Bolchevicks émanent d’un contexte singulier: Lénine et ses camarades sont au pouvoir d’une part, de l’autre ils vivent l’épreuve d’une terrible guerre civile. Difficile d’absolutiser les convictions tactiques et stratégiques nées d’une telle situation… Qui plus est, ce «modèle» russe – si récent, si contingent – présente des contours bien incertains aux yeux des congressistes de Tours. On méconnaît largement les événements de Russie: certain-e-s pensent qu’advient à l’Est une tentative croisant démocratie directe et révolution jacobine; or «la combinaison apparente du soviétisme et de l’extrême centralité bolchevique apparaît comme une troisième voie possible, plus dynamique (que la voie parlementaire ou que la grève générale)» (Le Parti rouge). Assiste-t-on à la «dictature du prolétariat» ou à celle d’un parti? L’Internationale qu’il s’agit de rallier sera-t-elle asservie aux seuls intérêts de Moscou? Le Temps apportera ses réponses.

Nous l’écrivions plus haut: malgré une conjoncture historique sans commune mesure, 2020 donne un nouvel éclat aux questionnements tourangeaux. En premier lieu, les problématiques économiques, climatiques, sanitaires – pour ne pas dire sociales et culturelles – appellent la renaissance d’un internationalisme exigeant. Internationalisme, et non mondialisme: seul le premier terme définissant d’après nous une forme d’universalisme situé et anti-impérialiste. En second lieu, ces mêmes problématiques nous conduisent à opposer à nouveau logique pragmatique et logique révolutionnaire – en précisant, cependant, que la révolution ne qualifie pas quelque culte morbide de la violence, mais le désir ou la nécessité d’une transformation radicale de l’état présent.

Notre chroniqueur est historien et praticien de l’agir et de l’action culturels.

Opinions Chroniques Mathieu Menghini

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lundi 8 janvier 2018

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