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L’histoire du portrait à l’huile du conseiller fédéral Emil Welti

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Fond noir, habit noir, pas d’ornement. On ne distingue que le visage, les traits sévèrement tirés, et les manchettes de sa chemise blanche. Un bout du dos de la main gauche révèle qu’il tient les bras croisés sur sa poitrine. Emil Welti (1825-1899), conseiller fédéral de 1867 à 1891, apparaît comme un homme grave, déterminé, austère.

L’histoire du portrait à l’huile  du conseiller fédéral Emil Welti
Portrait d’Emil Welti par Karl Stauffer-Bern, 1887. AARGAUER KUNSTHAUS

Le tableau à l’huile, réalisé par le prometteur Karl Stauffer-Bern en 1887, consacre Emil Welti au sommet de son ascension sociale. Pourtant, ce n’est pas tant sa position de conseiller fédéral que reflète le portrait, mais l’entrée, récente, de la famille Welti dans le cercle fermé de la très haute bourgeoisie helvétique. Emil Welti l’ignore, mais le peintre qui fixe ses traits sur la toile, ce peintre jeune, talentueux et séduisant, sera l’un des artisans de la chute des Welti, à peine quatre ans plus tard.

Emil Welti provient de la bourgeoisie argovienne, une bourgeoisie locale mais solidement établie, sans fortune particulière. Une bourgeoisie qui s’affirme au sein des institutions étatiques et qui propulsera le brillant Emil vers une carrière en accéléré. Il est élu au Conseil d’Etat d’Argovie à 30 ans, au Conseil des Etats à 32, puis au Conseil fédéral à 41 ans. Emil Welti accède vite aux fonctions les plus élevées, mais cela ne se double pas d’une amélioration économique notable: le salaire de conseiller fédéral lui permet tout juste de louer un appartement en ville de Berne.

Rapidement, Emil Welti devient une figure centrale de la politique helvétique. Il est un des artisans principaux du rachat des chemins de fer par la Confédération, qui s’opère dès les années 1890. Cette position le place face aux grands barons fédéraux, et notamment le magnat du rail, fondateur du Crédit suisse, le très riche Alfred Escher. Or, les deux familles s’unissent en 1883 par le mariage du seul fils d’Emil Welti, Friedrich Emil, et de la fille unique d’Alfred Escher, Lydia.

Le mariage, célébré un mois après le décès d’Alfred Escher, place la considérable fortune de Lydia Escher-Welti aux mains de son époux. Les Welti font leurs premiers pas dans le monde feutré de la bourgeoisie financière helvétique, auquel Lydia Welti-Escher est la porte d’entrée. Le portait d’Emil Welti trône dans la demeure historique des Escher sur les bords du lac de Zurich – la symbolique est forte pour une famille de locataires, sans personnel de maison.

Mais la fortune d’Escher échappe toutefois des mains des Welti quelques années à peine après que l’huile a séché. Lydia Escher-Welti – par lassitude, amour ou désir d’émancipation? – s’enfuit à Rome avec le même Karl Schauffer-Bern. Elle veut divorcer. Pour les Welti, il n’en est pas question – et l’accord financier que Lydia Escher-Welti propose n’est de loin pas suffisant.

Emil Welti et son fils mettront tout en œuvre pour faire incarcérer, malgré l’absence de motif, le peintre, et pour faire interner Lydia en asile psychiatrique. Les réseaux diplomatiques suisses sont mobilisés dans cette affaire privée et les plus grands psychologues helvétiques sont envoyés en Italie pour déclarer Lydia folle. En 1890, Emil Welti organise un divorce avantageux pour son fils – il s’arroge un cinquième de la fortune Escher. De ce qu’il reste de sa fortune Lydia Escher souhaite faire une fondation artistique, dont l’un des buts est notamment de soutenir les femmes artistes dans leur émancipation: est-ce une surprise si Emil Welti et son fils – qui exercent toujours un contrôle étendu sur Lydia Escher malgré le divorce – biffent ce but des statuts de la fondation? Et est-ce une surprise si la Fondation Gottfried Keller, du nom que les Welti lui donneront contre l’avis de Lydia, est placée sous le contrôle du Conseil fédéral – et donc tout ce qu’il reste de la fortune Escher? Au début de l’année 1891, Karl Stauffer-Bern décède dans son appartement florentin d’une surdose de somnifères. Lydia Escher, isolée, en institution médicale à Nice, est retrouvée sans vie quelques mois plus tard, à l’âge de 33 ans.

L’ascension des Welti, et le drame bourgeois, romanesque, de la vie de Lydia Escher et de Karl Stauffer-Bern figurent parmi les pages les plus passionnantes de l’ouvrage d’Heinrich Staehelin et de Claudia Aufdermauer, Bundesrat Emil Welti 1825-1899.

* Historien.

Heinrich Staehelin, Claudia Aufdermauer, Bundesrat Emil Welti 1825-1899, Baden: Hier + Jetzt, 2020.

Opinions Chroniques Séveric Yersin

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lundi 8 janvier 2018

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