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Pas de trêve des confiseurs pour les forçats du cacao

EST-CE BIEN RAISONNABLE?

En cette période de Noël, où toutes les sortes de chocolat sont prisées et à l’honneur, mais où le coronavirus n’a pas dit son dernier mot, le bras de fer qui oppose actuellement pays producteurs de cacao et multinationales du chocolat passerait presque inaperçu. De quoi s’agit-il?

Après plusieurs décennies de libéralisation et de déréglementation du secteur au profit des grands groupes chocolatiers, les Etats tentent à nouveau de reprendre la main. Plus précisément le Ghana et la Côte d’Ivoire, qui totalisent à eux deux plus de 60% de la production de cacao dans le monde. En juin 2019, pour accompagner leur demande d’un prix garanti du cacao qui corresponde aux coûts et au travail fourni, les deux pays ont suspendu leurs exportations de fèves. Face au refus catégorique de l’instauration d’un prix fixe au nom de la sacro-sainte loi du marché, ils ont alors exigé des industriels de la branche le paiement d’une prime de 400 dollars par tonne, baptisée «différentiel de revenu décent», à payer en plus du prix du marché, qui reste dramatiquement bas depuis des années; grâce, entre autres, à une surproduction minutieusement organisée, y compris par la Banque mondiale qui a contribué au financement d’immenses plantations de cacao dans plusieurs pays d’Asie.

Si la plupart des géants du secteur ont accepté de payer cette prime dès la récolte 2020-2021 démarrée en octobre, certains cherchent déjà à la contourner, prétextant une baisse de la demande due au coronavirus. C’est ainsi que pour éviter de payer le «différentiel de revenu décent» – on notera au passage ce nouveau concept – l’américain Hershey a décidé d’acheter d’acheter 30’000 tonnes de fèves provenant du stock du marché à terme de New-York, arguant qu’il provient de récoltes antérieures. Ce qui a provoqué la colère du Conseil du café-cacao de Côte d’Ivoire et du Cocoa Board du Ghana, les deux autorités nationales de la filière; lesquelles ont aussitôt suspendu les programmes de certification destinés au géant américain de la confiserie chocolatée ainsi qu’au groupe Mars, accusé de jouer un double jeu en s’adressant à d’autres pays producteurs, également pour éviter d’avoir à payer la prime. Or, ces programmes sont censés garantir que le cacao acheté par ces grands groupes est durable; et donc respecte les critères de production qui excluent travail des enfants et déforestation, désormais indispensables à la communication des multinationales vis-à-vis des consommateurs occidentaux.

Le business du chocolat représente un immense pactole, évalué à 100 milliards de dollars, dont à peine 6% reviennent aux pays producteurs, et seulement 2% aux planteurs; lesquels, dans leur immense majorité, croupissent dans une misère sans issue ou, selon la terminologie en vigueur, «vivent dans des conditions d’extrême pauvreté». Parvenir à mettre sur le marché des fèves extraites de cabosses mûres juste à point, puis séchées correctement pour éviter qu’elles ne moisissent, représente un travail colossal qui nécessite un véritable savoir-faire. Pourquoi celui-ci est-il si mal rémunéré, et la répartition des bénéfices de ce très lucratif secteur aussi scandaleusement inégale?

Le feuilleton est loin d’être terminé. Ces manœuvres rappellent en tout cas qu’à chaque tentative d’améliorer le prix du cacao et donc le sort des planteurs, voire même de mettre sur pied une «OPEP du cacao», tous les coups sont permis pour la torpiller. Cela éclaire également d’une lumière crue les débats concernant le volume de l’aide au développement aux pays dits pauvres, fragiles, faillis, émergents ou que sais-je encore, parmi lesquels de nombreux pays producteurs de matières premières agricoles ou minières. Si ceux-ci pouvaient en fixer eux-mêmes le prix, ils n’auraient certainement pas besoin de la «charité» et de la «philanthropie» des pays occidentaux.

Notre chroniqueuse est journaliste.

Opinions Chroniques Catherine Morand

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lundi 8 janvier 2018

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