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L’initiative antiburqa invente des problèmes

La population aura à se prononcer, le 7 mars prochain, sur l’initiative de l’UDC qui vise à interdire la dissimulation des visages dans l’espace public. Députée socialiste au parlement jurassien, Leïla Hanini exprime son point de vue sur le site pagesdegauche.ch
Suisse

L’initiative populaire de l’UDC «Oui à l’interdiction de se dissimuler le visage» a été rejetée au Conseil des Etats ainsi qu’au Conseil national. Le soutien de l’UDC et d’une majorité du groupe du centre (PDC, PBD et PEV) n’aura pas changé son issue. C’est donc le peuple qui aura le dernier mot le 7 mars 2021.

Dans le cadre de cette votation, l’UDC invente un problème inexistant, mais parle aussi au nom des femmes qu’elle qualifie arbitrairement et sans fondement d’«opprimées». Rien d’étonnant dans ces méthodes lorsqu’il s’agit du parti agrarien, choquant et intolérable par contre lorsqu’on apprend que les arguments d’extrême droite sont partagés par des personnes à gauche.

Un bout de tissu qui dissimule le visage et/ou le corps, que ce soit celui des femmes musulmanes ou des militant-e-s du défilé du Premier mai qualifiés de «casseurs», il n’en faut pas moins à l’UDC pour s’emparer du sujet, créer une angoisse fabulée et l’accompagner d’arguments d’extrême droite, tout ceci au travers de sa fameuse stratégie du «bouc émissaire».

Si l’UDC se bat depuis trois années pour un sujet qui lui apparaît capital et préoccupant, alors les chiffres devraient être des plus alarmants. Néanmoins, si nous nous penchons sur cette thématique, qui semble représenter une réelle menace pour notre pays selon l’UDC, on constate qu’en regard des chiffres, il s’agit d’un problème inexistant, voire monté de toutes pièces.

Un piège malhabile qui en a pourtant fait basculer plus d’un-e. Bien qu’il n’existe pas de statistiques précises sur le nombre de femmes concernées en Suisse, une réponse du Conseil fédéral à une interpellation de 2010, nous permet d’y voir plus clair. Ainsi, «il est possible d’évaluer l’effectif des femmes qui portent le voile intégral en Suisse entre 95 et 130. Toutefois, le nombre effectif devrait être nettement inférieur puisqu’en Suisse plus de 75% des musulmanes sont originaires de pays dans lesquels le port du voile intégral n’est que peu répandu, voire totalement inusité». Les femmes portant un voile intégral en Suisse sont donc probablement moins nombreuses que les représentant-e-s du peuple à Berne ayant voté sur la question de l’interdiction du port de la burqa…

L’UDC croit devenir féministe et dit vouloir défendre «les femmes opprimées, contraintes de porter la burqa». Face à cet argument soi-disant féministe, un questionnement subsiste: mais où se trouvait l’UDC le 14 juin 2019? Ce jour-là, alors que nous défendions les droits des femmes dans toutes les villes de Suisse, l’UDC romande organisait un repas de soutien pour une fondation anti-avortement (Aide suisse pour la mère et l’enfant). D’autres membres du Parti agrarien s’emparaient du prisme féministe pour faire passer une fois encore leur message de haine: «Les violences faites aux femmes viennent des individus non intégrés, des étrangers, des migrants.» Des arguments mensongers et absolument infondés, alors que les collectifs féministes ont rappelé que le profil type de l’agresseur dans les cas de violence était une personne connue, voire un membre de l’entourage proche de la victime. La grève des femmes* du 14 juin, rassemblant plus d’un demi-million de femmes et d’hommes dans tout le pays n’a pas rendu l’UDC soudainement féministe. Le parti agrarien n’a eu ni l’envie d’y participer, ni celle de soutenir le mouvement. Enfin, historiquement, le parti conservateur n’a jamais soutenu les avancées pour les femmes: droit de vote ou congé maternité, notamment.

En second lieu, ce qui choque profondément à la lecture des débats parlementaires et médiatiques, c’est qu’aucun-e des politicien-ne-s donnant son point de vue sur la question du port de la burqa n’est réellement allé à la rencontre des intéressées pour recueillir leur avis. Toutes et tous s’accordent en revanche pour en parler en leur nom. Ceci soulève deux interrogations. D’abord, peut-on réellement qualifier un problème en tant que tel sans l’avoir vérifié à la source? Et ensuite, les parlementaires fédérales-aux ne sont-elles et ils pas élu-e-s pour être à l’écoute de la population et s’occuper de ses problèmes réels?

Interdire la burqa ne constitue aucunement une émancipation certaine des «femmes opprimées». En effet, cette interdiction les forcera à rester chez elles. Un effet pervers donc, qui punirait les femmes au lieu de les aider.

*Article à paraître dans Pages de gauche n°178 (hiver 2020-2021), pagesdegauche.ch

Opinions Agora Leïla Hanini Suisse

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