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Vaccins anti-Sars-CoV2: nécessaires, mais à quel prix?

À votre santé!

Encore aux prises avec la deuxième vague de la pandémie de la Covid-19, dont la décrue n’est pas aussi rapide que la première – sans aucun doute parce que le semi-confinement (différencié suivant les pays et les régions) est beaucoup moins drastique qu’au printemps –, on nous annonce l’arrivée prochaine des vaccins. C’est un espoir réel de contenir cette pandémie, et de protéger au mieux celles et ceux qui sont les plus vulnérables: prévenir la maladie plutôt que la guérir, surtout quand on a affaire à un virus si contagieux, reste une vérité de santé publique. Cela ne doit pas nous dispenser de réfléchir sur les conditions qui ont prévalu pour que l’épidémie apparue en Chine devienne une pandémie, et de prendre les mesures nécessaires pour éviter l’éclosion d’une autre, mais il s’agit d’un autre débat.

Pris dans l’urgence, on est prêt à organiser une vaccination à large échelle avec un produit qui déclenche une immunité encore mesurable à trois mois: cela permettra très probablement d’enrayer la pandémie, avec le secret espoir que l’immunité perdurera bien au-delà. Il y a un effort communautaire à faire malgré les zones d’ombres qui peuvent subsister autour de ces vaccins. L’enjeu en vaut la peine. Mais il sera d’autant mieux perçu par la population du moment que les producteurs de vaccins acceptent d’être payés au prix juste (avec une transparence dans la manière de le fixer) et que les pays les plus riches ne s’octroient pas le quasi monopole de la ­production.

Or, malgré les efforts de l’OMS, ce qui se dessine, hélas, risque de discréditer les pharmas et de donner de l’espace aux complotistes. Sans parler de la responsabilité des Etats. L’ONG Public Eye nous révèle que les pays les plus aisés, soit moins de 20% de la population mondiale (dont nous faisons partie), ont déjà réservé près de 4 milliards de doses de vaccins, avec option pour 5 milliards supplémentaires, alors que la production globale en 2021 est estimée au mieux à 8 milliards de doses.

On a par ailleurs pu observer ces dernières semaines la compétition entre les différents producteurs, avec des effets d’annonces claires, chacun essayant de «gagner le marché». Et pourtant on aura besoin de tous, mais avec des vaccins accessibles pour tous et à un prix abordable. Les pharmas, dans ce cas-là encore moins que d’habitude, ne peuvent invoquer les coûts de recherche et de développement pour demander un prix élevé sur leur vaccin protégé par un brevet: en effet, il est bon de rappeler que, face à l’urgence créée par la pandémie, les pouvoirs publics ont investi des milliards (plus de 10 milliards de dollars pour les Etats-Unis, 16 milliards d’euros pour l’Europe et la Suisse, par exemple).

Ces contributions publiques, qui écartent tout risque en matière de recherche et de développement pour l’industrie pharmaceutique, ont été octroyées malheureusement sans conditions contraignantes sur le prix final! Il paraîtrait légitime pourtant de sortir d’une logique purement marchande, au vu de l’enjeu majeur pour l’humanité.

Vous me direz que je rêve. Et pourtant, même l’OMC, pas vraiment connue pour des principes éthiques irréprochables, a prévu deux mécanismes d’exception aux Accords sur les droits de la propriété intellectuelles (ADPIC) – comprenez les brevets–, à savoir la «licence volontaire ou obligatoire»: c’est la reconnaissance qu’il peut exister des situations justifiant qu’un producteur renonce aux droits que lui octroie un brevet ou qu’un Etat l’y contraigne. Mais comme dans le cas de la Covid-19 tous les Etats sont concernés, on pourrait admettre que, pour ce cas spécifique, il y ait une suspension temporaire des ADPIC généralisée; c’est ce que demandent d’ailleurs l’Inde et l’Afrique du Sud, et qui doit encore être discuté ce mois-ci au sein de l’OMC. Des centaines de millions de vie en dépendent, même plus si on compte les personnes qui n’ont pas survécu à l’arrêt des programmes de prévention du paludisme, de suivi de grossesse, de contrôle de croissance et de développement, de vaccination des petits enfants, ou simplement parce que le revenu familial a chuté en conséquence de la pandémie.

Peut-on espérer que la Suisse soutienne cette initiative? Ou se laissera-t-elle convaincre du contraire par le lobby pharmaceutique? A suivre. En attendant, rappelons-nous que la situation liée à la Covid-19 reste très préoccupante et conservons les gestes barrières, y compris à Noël ou à Nouvel-An. C’est aussi et d’abord ça, la prévention primaire. On se réjouit de 2021!

Notre chroniqueur est pédiatre FMH et membre du comité E-Changer, ONG suisse romande de coopération.

Opinions Chroniques Bernard Borel

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lundi 8 janvier 2018

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