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Le prix de la guerre

Le prix de la guerre
Des dizaines de milliers de réfugiés sont déjà arrivés au Soudan. Une crise humanitaire les guette déjà. Keystone
Éthiopie

Faudra-t-il un jour interdire le prix Nobel de la Paix? Quand on observe le parcours de certains lauréats – Barack Obama, Aung San Suu Kyi, Abiy Ahmed – on serait tenté de le conseiller aux membres du célèbre comité norvégien. Le premier ministre éthiopien, nobélisé en 2018 pour avoir serré la main à son voisin érythréen, a lancé début novembre une guerre éclair contre la région du Tigré, coupable d’avoir organisé comme prévu des élections régionales, alors que le gouvernement central avait suspendu tout scrutin pour cause de pandémie. Une suspension qui – de fait – permet à Abiy Ahmed d’échapper au verdict des urnes, son mandat ayant été prolongé d’un an par le parlement dominé par son Parti de la prospérité.

Si les autorités du Tigré ont certainement joué avec le feu, il va de soi que l’élection illégale et la prétendue attaque des Tigréens début novembre contre une unité militaire ont servi de prétexte. Le projet poursuivi par Abiy Ahmed et une bonne partie des élites de Addis Abeba vise une centralisation du pouvoir éthiopien. Vaste mosaïque multinationale de cent dix millions d’habitants, l’Ethiopie s’est doté d’une structure fédéraliste à la chute du régime pro-soviétique de Mengistu Haile Mariam. Un fonctionnement qui limite les frictions entre les peuples d’Ethiopie mais semble par trop freiner la stratégie développementaliste du gouvernement, rêvant de forger un dragon africain, entre agriculture industrielle et manufacture textile.

Pour ce faire, Abiy Ahmed, ressortissant Oromo, l’ethnie la plus nombreuse mais traditionnellement dominée, devait mettre au pas le Front de libération du peuple du Tigré (TPLF), représentant d’une nation minoritaire mais longtemps pilier du régime autoritaire de feu Meles Zenawi – tout sauf des enfants de cœur – désormais replié sur sa région d’origine. Sans doute l’alliance scellée entre Abiy Ahmed et l’Erythrée voisine en 2018 devait favoriser ces plans, puisque la région nordiste rebelle se retrouve désormais pratiquement encerclée, à l’exception de sa petite frontière Ouest avec le Soudan.

Si la victoire militaire lui semble aujourd’hui acquise, Abiy Ahmed a emprunté un chemin extrêmement périlleux. Après avoir soulevé un réel espoir lors de son élection, le premier ministre a progressivement oublié les attentes populaires et démocratiques issues de la révolte de 2015. En choisissant l’affrontement au Tigré, il a pris le risque d’attiser les ressentiments communautaires, les crimes et les drames de ce conflit venant s’ajouter aux tensions ethniques déjà vives, sur fond de conflits fonciers ou politiques. Puisse l’Ethiopie ne pas en payer le prix.

Opinions Benito Perez Éthiopie

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