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J’ai accroché les deux drapeaux à mon balcon: deux fois «oui» pour la responsabilité, celle des multinationales pour les droits humains et l’environnement, celle des banques contre le commerce des armes. Responsables: ça fait des mois qu’on nous enjoints à l’être pour protéger nos concitoyens et surtout notre système de santé du coronavirus. Ça fait des lustres que la droite libérale nous serine que la responsabilité individuelle est le socle de notre prospérité. Nous faisons donc pour le mieux, payant scrupuleusement nos primes d’assurance responsabilité civile afin de réparer les éventuels dommages infligés à autrui. Or voici deux initiatives qui nous mettent sous les yeux des forfaits et des désastres dont nous serions complices. Subrepticement, la coresponsabilité se glisse dans les interstices de notre bonne conscience. Nous ne pouvons sortir de ce piège qu’en adoptant les mesures qu’elles exigent. Nous n’avons pas le choix: c’est la responsabilité collective ou la honte!

Ce dilemme me rappelle des souvenirs plus anciens: des entreprises suisses trafiquant avec l’Afrique du Sud au temps de l’apartheid; des humanitaires dépêchés sur des champs de bataille se trouvant nez à nez avec les canons de la firme Bürhle; une indigne hospitalité bancaire accordée aux avoirs frauduleux des potentats de la planète; des décennies de secret bancaire et d’évasion fiscale. Et tout cela sans remonter jusqu’aux illustres familles qui firent fortune grâce au commerce des esclaves. Que des opposants à l’initiative «multinationales responsables» viennent aujourd’hui accuser ses partisans de faire du néocolonialisme, c’est le comble de la mauvaise foi! Donner un accès à la justice aux populations dont les richesses sont spoliées par quelques prédateurs mondialisés serait à leurs yeux une ingérence insupportable. Au contraire, l’irresponsabilité consisterait à nous réserver le monopole exclusif de l’innocence et à laisser les pays en développement sombrer dans l’amertume de la «malédiction des ressources».

Les droits humains, la protection de l’environnement, le désarmement, tout le monde est pour. Même ceux qui sont contre! Au prétexte que les mesures préconisées par les deux initiatives sont inadéquates, ils jugent plus urgent de ne rien faire. Avec moins d’argent pour les armes, il y aurait moins de guerres et moins de morts? Le croire c’est d’une «naïveté consternante» décrète un conseiller national. Mais cette posture de réalisme érigé en vertu n’est qu’un misérable cache-sexe car l’enjeu réel est de ne pas perdre un seul marché. Interdire la participation financière de la banque nationale et des fonds de pension à l’industrie d’armement serait un cas unique au monde, clament les opposants. Pareil pour la responsabilité des multinationales. Il importe donc d’éviter tout excès de zèle. Dans la cour de récréation, pour avoir une chance de participer au partage du goûter, mieux vaut rejoindre le groupe des caïds que de se distinguer en jouant le bon élève. Outre que cette peur de l’isolement est infondée parce que des banques appliquent déjà le principe des investissements responsables et que l’élaboration de normes éthiques plus exigeantes à l’égard des multinationales est en cours à l’ONU, au sein de la Commission européenne et dans plusieurs pays d’Europe, on voit mal par quel curieux retournement de l’histoire, être pionnière nuirait à la Suisse, elle qui ne cesse de se vanter de son système démocratique unique au monde!

Enfin, ceux qui s’insurgent contre l’insulte faite à nos multinationales si elles se voyaient traînées devant les tribunaux par des autochtones démunis de tout sinon de droits, dénoncent une «utilisation abusive de notre système judiciaire». Quel cynisme! Les multinationales sont en effet les championnes pour assigner les Etats en justice devant des tribunaux arbitraux, au nom de la protection de leurs investissements. Pire: en ces temps de pandémie, elles n’hésitent pas à exiger des dédommagements substantiels si les mesures sanitaires prises par un gouvernement ont retardé les versements qui leur sont dus. La firme suisse Glencore est très active sur ce terrain, notamment avec une procédure de ce type contre la Bolivie.

En 2019, les dépenses d’armement dans le monde se sont élevées à 1917 milliards de dollars. Une étude récente (septembre 2020) révèle que 113 institutions financières suisses ont investi 9,9 milliards dans des entreprises d’armement, dont 1,8 milliard pour la seule BNS. Le peuple suisse a déjà compris que les participations de notre banque nationale dans les énergies fossiles sont dramatiques pour le climat. Il en va de même pour les armes. Je fais partie de celles et ceux qui pensent que la pandémie va laisser des traces dans l’esprit des gens: une prise de conscience des injustices, un sens plus aiguisé des responsabilités. J’ose donc espérer que ces deux initiatives seront acceptées le 29 novembre.

Notre chroniqueuse est une ancienne conseillère nationale. Publication récente: Mourir debout. Soixante ans d’engagement politique, Editions d’en bas, 2018.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary

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lundi 8 janvier 2018

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